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attitude de frère aîné qui permet à l’Américain en voyage, quand il n’a pas la rudesse égoïste propre en tous pays aux gens mal élevés, de se rendre utile sans que ses attentions aient jamais la moindre apparence d’incommode galanterie. Leur conduite est si discrète que miss Lydia ne se rend pas compte un seul instant de l’inconvenance de sa situation. Toutefois entre ces jeunes gens réunis plus d’un mois, du matin au soir, sur un si petit espace, d’ardentes sympathies et quelques rivalités doivent nécessairement survenir. Quand l’Aroostook atteint Trieste, Staniford est amoureux fou de Lydia ; celle-ci, de son côté, ne le quitte qu’à regret pour partir avec son oncle, qui l’emmène à Venise. Là elle apprend avec étonnement qu’il n’est pas d’usage qu’une fille de dix-neuf ans entreprenne une longue traversée en compagnie d’un beau garçon inconnu, qui se promène avec elle sur le pont au clair de la lune. Elle apprend beaucoup de choses, en outre, qui ne lui donnent pas moins à penser : d’abord qu’à Venise, elle ne sortira plus sans être accompagnée, ce qui ne doit pas la préserver d’être suivie et accostée par des admirateurs moins respectueux que les passagers de l’Aroostook, ensuite que des chrétiens vont à l’Opéra le dimanche et, finalement, que, si les demoiselles ne doivent pas échanger le moindre mot avec un homme, hors de la présence de leur mère ou tutrice, les femmes mariées peuvent être impunément coquettes et même s’afficher partout en compagnie d’un sigisbée. De pareilles mœurs lui font horreur, et elle se réjouit de regagner bientôt son Amérique natale, la main dans celle de Staniford, devenu son mari. Voilà en quelques lignes le sujet de la Dame de l’Aroostook, mais tout l’intérêt du récit est dans les détails, dans le progrès de cette affection qui, entre le ciel et l’eau, grandit de jour en jour, d’heure en heure, sans jamais sortir extérieurement des bornes d’une cordialité franche. Nous ne connaissons pas de lecture plus attrayante que celle de ce joli roman parfumé d’air salin pour ainsi dire et qui nous offre à la fin ces brillantes descriptions de Venise, dans lesquelles excelle l’auteur de Venetian Life. M. Howells a longtemps voyagé en Italie ; il fut consul d’Amérique à Venise et data de cette ville un volume de souvenirs fort curieux où nous trouvons ce parallèle entre l’Italien et l’Anglo-Saxon : « Les manières douces et polies de ces peuples du Midi sont souvent une source de surprise pour l’Anglo-Saxon, sorti plus récemment de la barbarie et qui n’a pas encore complètement dépouillé la bête fauve. L’Anglo-Saxon, sans éducation, n’est qu’un sauvage ; l’Italien, quelle que soit son ignorance, sa pauvreté, la dépravation de ses mœurs, est un homme civilisé. Je ne dirai pas que sa civilisation soit de l’ordre le plus élevé ni qu’elle