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II

La date du 5 novembre 1646 avait été fixée pour le mariage par procuration. Le palatin de Posnanie fut chargé par le roi de Pologne de le représenter à cette cérémonie et d’épouser Marie de Gonzague en son nom. L’entrée de ce grand seigneur à Paris donna une haute idée du faste des cours du Nord. Mme de Motteville la vit d’une fenêtre de la place Royale et nous en a laissé un curieux récit. Le cortège s’étendait depuis la Bastille jusqu’au Palais-Royal ; la foule contemplait avec étonnement ces files interminables de carrosses et de cavaliers, ces harnachemens à l’orientale, ces chevaux dont la crinière était semée de pierreries et dont les fers étaient d’or ou d’argent. Chaque Polonais s’avançait de front avec un de nos gentilshommes, venu à sa rencontre pour lui faire honneur, et l’on comparait la magnificence quelque peu théâtrale de l’étranger, sa veste longue et brodée de mille couleurs, le manteau à manches flottantes jeté sur ses épaules, ses armes resplendissantes d’ornemens, son bonnet de zibeline dont un nœud de diamans retenait l’aigrette, avec l’équipement léger et l’élégance plus sobre de son compagnon ; il paraît toutefois qu’à cette occasion, les femmes critiquèrent la mode adoptée par nos jeunes seigneurs de ne vouloir à leurs habits d’autre parure que des rubans. Le lendemain, les Polonais s’étaient assemblés dans la cour du Palais-Royal, à l’entrée de la chapelle où le mariage allait être célébré, lorsque Marie parut sur l’une des terrasses, éblouissante dans sa robe et son justaucorps de toile d’argent. Anne d’Autriche s’était plu à préparer elle-même la toilette de la jeune reine, à attacher sur sa jupe les perles et les diamans. Après avoir répondu par un salut aux acclamations de ses futurs sujets, Marie rentra dans les appartemens où, se présentant à Mazarin, elle lui demanda gracieusement s’il trouvait que cette couronne qu’il lui avait mise sur la tête lui seyait bien. A la chapelle, elle ne put maîtriser un mouvement de joie et d’orgueil lorsque, assise aux côtés du jeune Louis XIV, elle vit derrière elle et au second rang ce même Gaston d’Orléans qui jadis l’avait dédaignée. Les jours suivans, partout où elle se montrait dans Paris, le peuple s’empressait autour d’elle, « comme si sa nouvelle dignité, dit Mme de Motteville, eût pu lui changer le visage. » Sa dernière visite fut pour les religieuses de Port-Royal ; elle quitta Paris le 27 novembre 1645, accompagnée jusqu’au-delà des portes