Pologne un rang qui la plaçât hors de pair et lui permît d’établir son influence sans éveiller de trop nombreuses jalousies ? Mazarin s’avisa de concilier ces exigences diverses par une mesure sans précédent dans notre histoire diplomatique. La qualité de représentant du roi à l’étranger avait toujours été le privilège exclusif des hommes. Le cardinal dérogea hardiment à cette règle et résolut d’accréditer auprès du roi de Pologne, non un ambassadeur, mais une ambassadrice, en lui donnant la charge de conduire Marie jusqu’à Varsovie pour y diriger et y protéger ses débuts.
Son choix se porta sur la comtesse de Guêbriant, veuve du maréchal qui nous avait conquis l’Alsace par ses victoires. Mme de Guêbriant présente une des physionomies originales du XVIIe siècle ; ses contemporains lui décernèrent avec raison le titre de femme d’état. L’ambition fut sa seule passion et la politique semblait son élément. Après avoir épousé Guêbriant parce qu’elle pressentait ses hautes destinées, elle le servit utilement dans toutes les occasions. Elle s’était promis d’être maréchale de France et se tint parole. « Cette dignité, dit un historien, lui appartint à double titre, par participation de son mari et par la part qu’elle avait prise dans le bon succès de ses armes[1]. » La plupart de ceux qui l’approchèrent subirent son ascendant. Non qu’elle fût jolie : ses traits accentués, ses joues fortes, son menton proéminent donnaient à son visage un air de dureté, mais elle semblait née pour le commandement, et avait reçu de la nature le don de se faire obéir. Femme de tête, utile dans le conseil et dans l’action, elle imposait ses avis par la double autorité que donnent une volonté ferme et une confiance absolue en soi-même. Cet esprit dominateur savait aussi se plier à l’intrigue ; féconde en ressources, la maréchale usait à propos de ruse et de séduction, et se montrait non moins habile à tourner les obstacles qu’à les aborder de front.
Anne d’Autriche et son ministre n’oublièrent rien de ce qui pouvait ajouter à l’éclat de sa mission. Des sommes importantes lui furent remises ; un prélat, l’évêque d’Orange, lui fut donné pour assistant et pour coadjuteur ; enfin elle fut qualifiée d’ambassadrice extraordinaire et eut droit de prétendre en toute rencontre au premier rang après les têtes couronnées. Ses fonctions auprès de Marie de Gonzague ne durent commencer qu’à la frontière, mais c’était à elle qu’il appartiendrait de régler le reste du voyage. Son séjour en Pologne devait se prolonger pendant le temps nécessaire pour assurer l’établissement de la reine et faire tourner au profit des intérêts français l’influence que la jeune femme prendrait sur son mari[2].