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convaincre ou les séduire. Le désordre s’apaisa comme par enchantement, et les propositions de la couronne furent votées d’acclamation.

Mazarin avait atteint son but ; l’entreprise hasardeuse qu’il avait tentée avait réussi au-delà de ses espérances ; elle fut féconde en résultats. — Installée par ses soins sur le trône, Marie de Gonzague s’y maintint après la mort de son mari en épousant Jean-Casimir, frère et successeur de Wladislas, et se fit l’instrument le plus efficace de la politique française dans le Nord. — Vouée à une vie d’épreuves et à d’étranges vicissitudes, elle vit sous le règne de son second mari la Pologne près de périr sous le coup de la triple invasion des Suédois, des Cosaques et des Moscovites ; son cœur et son esprit s’élevèrent alors à la hauteur du péril ; s’efforçant de relever le courage défaillant de Jean-Casimir, elle reçut de lui la direction presque absolue des affaires, l’exerça avec une virile résolution, sut découvrir des ressources inconnues, se procura des alliés, fit appel à notre médiation, et obtint du cardinal une assistance diplomatique qui lui permit de traiter à des conditions honorables. Sa perspicacité lui faisait pressentir le sort réservé à sa patrie d’adoption par des voisins ambitieux et sans scrupules ; une union intime avec la France lui parut le seul moyen de salut. Elle voulait assurer du vivant même de Jean-Casimir la succession de ce roi à l’un de nos princes et préparer l’établissement de l’hérédité au profit d’une branche de la maison de Bourbon ; la Pologne eût ainsi forcé la protection de la France en se réfugiant entre ses bras. En 1667, ce plan semblait sur le point d’aboutir, lorsque la mort frappa à l’improviste celle qui en était l’âme. Marie fut emportée par un mal subit, et l’édifice laborieusement construit de ses mains s’écroula d’un seul coup. Cependant les traditions d’intimité qu’elle s’était appliqué à créer entre les deux cours où elle avait successivement vécu ne disparurent pas avec elle. Durant ses dernières années, elle s’était entourée d’un groupe de Françaises belles et ambitieuses, qu’elle sut fixer à Varsovie. L’une d’elles, Mlle d’Arquien, épousa Jean Sobieski et fut reine à son tour ; toutes se marièrent dans les plus nobles familles. S’inspirant des exemples de Marie de Gonzague, elles continuèrent après sa mort à répandre autour d’elles notre influence en même temps que le goût de notre langue et de nos mœurs, et les liens durables qui se formèrent à cette époque entre la France et la Pologne furent avant tout l’œuvre des Françaises.


ALBERT VANDAL.