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Est-on sûr qu’elle ne coûtera pas deux fois plus qu’on ne prévoit ? Et c’est en présence de pareilles charges pour notre budget qu’on vient nous proposer sérieusement de substituer sur tous les points du globe des écoles laïques aux écoles religieuses existantes ! On parle de cette transformation comme d’une chose aisée à opérer. Mais qui donc en ferait les frais ? Assurément ce ne seraient pas des associations particulières, car nos mœurs ne nous portent pas à accomplir de grandes entreprises privées ; en dehors des congrégations religieuses, des œuvres de la propagation de la foi et des missions d’Orient, il serait impossible de trouver chez nous des sommes considérables pour les écoles et les asiles du dehors. C’est donc l’état qui devrait les fournir. Mais où les prendrait-il ? Le socialisme d’état nous envahit de plus en plus. L’état doit pourvoir à tout chez nous ; on se méfie des institutions indépendantes ; on veut être élevé, dirigé, entretenu de toutes les manières par l’état. Il faut que l’industrie, aussi bien que l’enseignement, soit placée sous sa tutelle. Soit ; mais s’il épuise à l’intérieur ses forces et ses richesses, que lui en restera-t-il pour l’extérieur ?

Supposons néanmoins qu’on parvienne à couvrir l’Orient méditerranéen, l’extrême Orient asiatique et l’Afrique occidentale d’écoles laïques françaises ; après les avoir fondées, par quel moyen les fera-t-on vivre ? Le personnel devrait en être renouvelé sans cesse, à cause de l’influence néfaste des climats. Où se procurer ce personnel ? De plus, les professeurs qui auraient perdu leur santé au service du pays ne pourraient pas être laissés sans ressources à leur retour de l’étranger ; il faudrait leur donner de grosses pensions. Ce serait pire encore pour le personnel hospitalier. Encore une fois, où se procurer l’argent ? Chaque fois qu’un missionnaire scientifique revient malade d’une campagne d’exploration physique, on demande avec raison pour lui une compensation. Il faut lui trouver soit une position peu fatigante, mais lucrative, soit une source quelconque de revenus. Que serait-ce si des centaines de personnes arrivaient chaque mois dans nos ports, rapportant des contrées lointaines de graves maladies et des prétentions à de dispendieuses récompenses ? Dieu nous préserve d’avoir jamais à constituer la caisse des invalides de la colonisation ! Des millions n’y suffiraient pas. La colonisation ne peut pas être une œuvre purement officielle. Ce qui a jusqu’ici causé la ruine de la plupart de nos entreprises colonisatrices, c’est le rôle excessif que l’état s’y est attribué ; rien n’y a été laissé à l’initiative privée, et il en est résulté des œuvres artificielles sans force ni durée. En Angleterre, le colon est livré à lui-même ; il fait comme il lui plaît ses propres affaires ; personne ne s’avise de lui donner gratuitement la terre en lui imposant des conditions de culture particulières ; il achète un domaine et il le