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supériorité éclatante sur les indigènes leur assure des positions importantes ; mais là aussi à quoi leur servent leurs connaissances classiques ? Pour plier sous le faix des chinoiseries de la comptabilité copte, ou pour se plier aux exigences nouvelles des méthodes européennes, mieux vaudraient sans nul doute des notions pratiques sur les sciences, une éducation moins élégante, mais plus appropriée aux nécessités, parfois vulgaires, de la politique et du gouvernement d’aujourd’hui.

Les Orientaux n’ont pas besoin qu’on développe en eux le sens littéraire, l’amour des lettres, la passion du bien dire. Ils ne sont que trop portés à regarder l’art d’écrire et de parler comme le seul digne d’être cultivé. On sait que la beauté du style du Coran est, à leurs yeux, une preuve de l’origine divine d’un livre aussi admirablement rédigé. En Égypte, Araby-Pacha a dû la plus grande part de son immense influence à la chaleur et à l’éclat de ses discours. Mais ce qui manque tout à fait aux Orientaux, c’est l’esprit scientifique, ce sont les connaissances exactes, qui dissiperaient les nuages du fanatisme et feraient tomber les innombrables superstitions dans lesquelles végètent les classes éclairées elles-mêmes. Partout, dans l’empire ottoman, l’astrologie, la magie ont conservé des adeptes ; Abdul-Hamid n’est pas le seul Turc qui cherche dans les astres les règles de sa conduite ; les hommes en apparence les plus dégagés de préjugés croient toujours aux sortilèges, au mauvais œil, aux jours fastes et néfastes. Avec de pareilles illusions, toutes les aventures politiques et religieuses sont possibles. C’est là qu’est le plus grand mal de l’Orient ; c’est ce fléau d’une ignorance première et facilement dupe des plus folles illusions qu’il faudrait combattre. Mais ce n’est pas tout. Longtemps encore l’Orient sera mal gouverné, ou s’il est bien gouverné, c’est qu’il le sera par des mains étrangères. C’est donc, de la part de la jeunesse levantine, grecque, arménienne, turque et arabe, une erreur de chercher des débouchés pour l’activité qui la dévore du côté des administrations d’état. Elle a mieux à faire, et c’est vers les grandes entreprises du commerce, de l’industrie, des travaux publics que devraient se tourner ses efforts. L’empire ottoman tout entier est dans une décadence matérielle épouvantable ; son agriculture est barbare ; il n’a ni routes, ni ports, ni canaux ; ses immenses richesses sont rendues stériles par l’absence d’instrumens d’exploitation ; transporter les marchandises jusqu’à la côte est souvent impossible tant les voies de communication sont détestables ; mais, quand ces marchandises sont arrivées au point d’embarquement, elles sont encore exposées aux multiples dangers de ports dont ne peuvent s’approcher que les petits bateaux sur des rades ouvertes à tous les vents, qu’aucune digue ne protège contre la tempête. Pour transformer l’outillage agricole, industriel et