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commercial de ces malheureuses contrées, il faudrait des générations d’ingénieurs, d’agriculteurs, d’industriels. Comment les faire naître ? On a essayé deux systèmes : on a fondé à Constantinople une école forestière, une école des mines, etc., où l’on a appelé des professeurs français et allemands. Bientôt ceux-ci se sont découragés, soit qu’on oubliât de les payer, soit qu’on leur suscitât mille difficultés auxquelles ils ne pouvaient longtemps résister. Il est certain d’ailleurs que, même pour un prix élevé, des hommes déjà mûrs, ayant une situation scientifique dans leur pays, ne consentiront jamais à vivre en Turquie, au milieu de tous les ennuis et de tous les dégoûts de l’existence orientale. Le second système auquel on a eu recours n’a pas donné de meilleurs résultats. On a envoyé de jeunes Orientaux compléter leur éducation à Paris, à Vienne et à Berlin. Sauf de rares exceptions, ils en sont revenus plus ignorans qu’à leur départ. Le plus grand nombre d’entre eux, éblouis des plaisirs de l’Europe, n’avaient pas songé une seconde à l’étude ; les autres, peu préparés par leur éducation première à suivre les cours de nos écoles supérieures et de nos universités, s’y étaient trouvés immédiatement dépaysés, et, faute de comprendre, s’étaient bornés à retenir par la mémoire des leçons qu’ils savaient par cœur, mais dont l’intelligence leur échappait entièrement.

Entre ces deux systèmes on en a proposé un troisième, qui, je le crois, serait de nature à donner d’heureux résultats. Si, comme je viens de le dire, des savans français ayant fait leurs preuves ne sauraient consentir à s’exiler, à se transporter au milieu de mœurs différentes des nôtres, de populations dont la plus grande partie parle une autre langue ; si, d’ailleurs, le gouvernement turc devait fatalement se montrer hostile à la création d’écoles étrangères affichant le dessein de répandre la civilisation européenne sur tout son territoire, le seul moyen de tourner ces deux obstacles serait d’établir en Orient, non pas des écoles proprement dites, mais des missions scientifiques dans le genre de nos écoles d’Athènes, de Rome et du Caire, et, par une faveur spéciale, d’en ouvrir les portes aux indigènes. Il peut y avoir une grande utilité pour nos jeunes ingénieurs, pour nos jeunes agriculteurs, pour nos jeunes industriels, à faire un stage dans des contrées encore vierges qui leur offriraient le plus admirable champ d’études. A vingt-cinq ans, la difficulté de s’expatrier et d’apprendre une langue nouvelle n’est pas ce qu’elle est à quarante. Pourquoi donc l’École centrale, l’école de Grignon, l’école de Montpellier, nos écoles de commerce, ne posséderaient-elles pas en Asie-Mineure par exemple des écoles d’application, des missions permanentes où leurs meilleurs élèves viendraient, moyennant une rétribution convenable, perfectionner leurs connaissances par la comparaison de la France avec un pays si différent ? Pourquoi