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grande partie de nos succès dans la conquête morale du globe. Ceux qui le nient se laissent tromper par des faits particuliers, par des fautes personnelles, par des excès secondaires et inévitables. Chaque année on raconte à la chambre ou dans les journaux quelque imprudence commise par une congrégation, et l’on s’écrie aussitôt : Vous voyez bien que les congrégations ne font que du mal ! Si l’on condamnait toutes les institutions humaines avec la même rigueur, pas une ne resterait debout. Personne ne contestera que notre diplomatie ne rende à la France les plus grands services ; et cependant, si l’on relevait aussi chaque année les maladresses de nos diplomates et si l’on employait pour les juger la même méthode de raisonnement, ne faudrait-il pas en conclure que la diplomatie doit être supprimée ? Et le commerce ? Ah ! sans doute, son ardeur, son courage, son initiative, sont admirables ; mais que de fois la violence et la barbarie ne président-elles pas à ses entreprises ! Que de fois ne soulève-t-il pas parmi les populations sauvages ou a demi civilisées des colères qu’on ne peut s’empêcher de trouver légitimes ! On le proscrirait sans pitié si on le jugeait par ses fraudes, par ses injustices, par ses manques de foi, comme on juge les missions par les excès de zèle de quelques missionnaires.

S’il est vrai, et je le crois, que les missions catholiques, en dépit des critiques qu’on leur adresse, sont un des élémens principaux de notre puissance extérieure, il est évident qu’il faut se préoccuper de la question de leur recrutement. Depuis les décrets, les congrégations n’ont plus d’existence en France ; non-seulement elles sont en dehors du droit commun, mais on leur refuse même le bénéfice de ce droit ; par conséquent, elles ne sauraient que disparaître peu à peu. Le moment viendra où celles qui vivent à l’étranger ne compteront plus de Français dans leurs rangs, où elles seront uniquement composées d’Italiens, d’Autrichiens, d’Espagnols, d’Allemands, etc., c’est-à-dire de personnes appartenant aux nations qui nous disputent le protectorat catholique et avec lui l’action civilisatrice dans le monde. Il nous sera très difficile alors de les maintenir sous notre tutelle ; elles nous échapperont fatalement. L’Italie et l’Autriche parviendront sans doute à s’emparer de celles où domineront leurs sujets. L’Autriche est de plus en plus catholique. Quant à l’Italie, le recrutement des moines n’a point été ralenti chez elle par les lois sur les congrégations religieuses. « La loi italienne, a dit un écrivain peu suspect de cléricalisme, M. Félix Pécaut, a retiré aux ordres et communautés la personnalité civile ; ils ne peuvent plus posséder en leur propre nom ; leurs maisons et leurs biens ont été saisis par l’état, qui, sans les réunir purement et simplement au fisc, les