vastes et profondes, il s’attarde dans leur contraire pour ne pas lui faire tort. »
La maladie de l’idéal en amène une autre qui achève la ruine qu’elle a commencée : elle produit le développement excessif de la réflexion, qui réduit presque à rien la spontanéité, l’élan, l’instinct et, par là même, l’audace et la confiance. Quand il faut agir, on ne voit plus partout que causes d’erreur et de repentir, menaces cachées et chagrins masqués. On a horreur d’être dupe, surtout de soi-même. « Le besoin de connaître retourné sur le moi est puni, comme la curiosité de Psyché, par la fuite de la chose aimée. La force doit rester mystérieuse à elle-même ; dès qu’elle pénètre dans son propre mystère, elle s’évanouit. » Et, à ce propos, un développement à la manière philosophique de l’Allemagne, dans un style étrange à nos oreilles françaises : « Nous sommes et devons être obscurs pour nous-mêmes, disait Goethe, tournés vers le dehors et travaillant sur le monde qui nous entoure. Le rayonnement extérieur fait la santé ; l’intériorisation trop continue nous ramène au néant. Mieux vaut dilater sa vie, l’étendre en cercles grandissans, que de la diminuer et de la restreindre obstinément par la contraction solitaire. La chaleur tend à faire d’un point un globe, le froid à réduire un globe à la dimension d’un atome. Par l’analyse je me suis annulé[1]. »
Il se déclare annulé par l’analyse ; mais cela même n’est-il pas déjà une conséquence ? « C’est l’immensité de son ambition qui l’a guéri de l’ambition. Comment s’enthousiasmer de quelque chose de chétif quand on a goûté de la vie infinie ? » S’il n’agit pas, c’est qu’il a mis son but trop haut. « L’action est ma croix, dit-il, parce que ce serait mon rêve. » Vouloir trop bien faire empêche que l’on fasse rien. Que devrait penser de lui-même l’homme qui, ayant la gloire d’être initié, agirait comme celui qui ne l’est pas ? Ce martyr de l’idéal déclare que la responsabilité est son cauchemar invisible[2]. Elle se mesure aux clartés qu’il a reçues et à la vision sublime qu’il a devant les yeux. Dès lors, comment oser agir sans craindre de profaner l’idée au contact du fait ? « Mentir à son idéal, dit le fier penseur, c’est le plus irréparable des viols, c’est la défloration de la conscience, c’est le déshonneur du moi, la faute irrémissible dont ne se relève jamais la dignité intérieure. »
Un scrupule l’arrête, et c’est le signe de cette lutte qui est le drame de sa vie intérieure. Dans cette conscience superbe et jalouse de l’idéal, qui rend l’homme impropre à l’action, ne