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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/837

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partant assujettis à certains devoirs vis-à-vis d’eux. De même qu’envers les hommes notre de voir est d’être juste et pitoyable, de même, envers les animaux, nous ne devons être ni iniques ni cruels.

Celui qui, pour sa satisfaction personnelle, se croirait le droit de faire périr ou de faire souffrir d’innocentes bêtes, serait indigne d’être homme. La honte et la clémence sont inconnues des animaux. C’est à nous de faire effort pour nous montrer supérieurs en leur témoignant cette clémence et cette bonté dont ils sont incapables de faire preuve.

Il y a cependant une limite qui est notre utilité même. Un animal dangereux ou nuisible à l’homme doit être détruit sans pitié ; car, quels que soient nos devoirs vis-à-vis de l’animal, nos devoirs vis-à-vis de l’homme sont plus grands. Voici, par exemple, le phylloxéra qui ravage nos vignobles ; personne ne songera à témoigner quelque pitié à l’égard de ce fléau. Ce sera faire œuvre pie que d’anéantir l’insecte dévastateur. Dans l’Inde, les tigres et les serpens font périr, ainsi que l’indiquent toutes les statistiques officielles, près de trente-cinq mille individus par an. Donc on est autorisé a combattre les tigres et les serpens et à employer contre ces animaux malfaisans toutes les mesures destructives qui seront en notre pouvoir. Il n’y a aucun doute à cet égard, et tout le monde est d’accord.

A côté des animaux malfaisans il en est d’autres qui sont utiles, qui servent, soit à notre alimentation, soit à nos usages de chaque jour. Il serait absurde d’empêcher les chevaux de traîner les voitures, ou les bœufs de traîner la charrue. On ne peut songer sérieusement à supprimer de nos alimens les viandes de toute sorte qui sont presque nécessaires à notre existence. A part quelques originaux dignes d’estime, personne ne soutient qu’il faut vivre à la manière des herbivores, s’abstenir de toute viande, respecter les moutons, les bœufs, les perdrix, les poissons, les huîtres. L’homme est, par sa constitution, fait pour unir la viande aux alimens herbacés. On ne peut donc lui refuser le droit de vivre, ce qui entraîne le droit de sacrifier les animaux qui constituent sa nourriture.

Je sais bien que les végétariens présentent parfois des argumens assez puissans. D’abord, disent-ils, l’expérience montre que des populations tout entières peuvent vivre pendant plusieurs années sans consommer de viande : la denture de l’homme est la denture d’un animal frugivore et non celle d’un animal carnivore : les singes, qui sont si proches, se nourrissent de fruits et de racines, non d’animaux égorgés. Le spectacle d’une boucherie ou d’un abattoir est hideux et développe des sentimens de cruauté. La consommation de la viande fait naître des maladies que les populations végétariennes ignorent complètement. La chair musculaire ne donne ni