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dans les muscles de la patte, qui pouvait prévoir que ce petit fait amènerait, par une série admirable de découvertes, l’invention de la pile électrique, de la télégraphie électrique et de l’électricité dynamique ? Si Galvani n’avait pas bien observé les pattes de ses grenouilles, le télégraphe électrique n’existerait pas, ni la lumière électrique, ni toutes ces machines merveilleuses qui constituent une des plus grandes forces dont dispose l’humanité. Et, cependant, au moment où Galvani faisait sa découverte, n’aurait-on pas eu, au moins en apparence, le droit de condamner ses stériles et sanglantes expériences ? Quelle utilité les hommes vont-ils retirer d’un massacre de grenouilles suspendues à la tige d’un balcon ?

Un jour, un chimiste obscur, en distillant l’indigo ; découvre une huile incolore dont l’étude lui paraît peu intéressante. Trente ans après, on démontre que cette huile, traitée par divers réactifs, peut donner les plus belles matières colorantes, et l’industrie des couleurs d’aniline est fondée.

Une autre fois, en chauffant de l’alcool et du chlore, on obtient un liquide qu’on appelle le chloroforme et dont on n’étudie pas les propriétés. Au bout de vingt ans, le hasard vient montrer que ce liquide a la propriété merveilleuse de supprimer la douleur dans les opérations chirurgicales.

Chaque découverte nouvelle, si petite qu’elle paraisse d’abord, est grosse des découvertes à venir. Une vérité est le germe d’innombrables vérités. Aussi ne faut-il pas restreindre le domaine de la science, et, pour évitera un malheureux être quelques souffrances passagères, étouffer dans son berceau tout l’espoir de l’avenir.

La science de la vie, c’est-à-dire la physiologie, ne peut progresser que par la vivisection. Interdire cette pratique, ce serait tuer la physiologie. En effet, l’examen anatomique des organes ne nous apprend rien, ou presque rien, sur leurs fonctions. Comment pourrait-on comprendre la circulation du sang, si l’on avait pour seule ressource l’étude anatomique du cœur, des artères et des veinés ? Quelle idée donnera la description du cerveau sur les fonctions du cerveau ? On y verra des formes bizarres, des appareils compliqués ; mais l’examen de ces formes ne sera d’aucune utilité pour la connaissance de leurs fonctions.

L’œuvre de la physiologie est fondée tout entière sur l’expérimentation, et l’expérience ne peut être faite que sur des êtres vivans. Quelquefois ces êtres vivans sont des plantes ; mais ce n’est là qu’une partie de la physiologie. La physiologie animale tout entière a besoin des animaux. L’observation des cadavres ne sert pas à connaître les lois de la vie. Supposons un habile artisan à qui l’on donne une montre à examiner. En vain il regardera à la loupe les ressorts, les rouages, les crénelures, les rubis, et tout l’appareil,