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Mais laissons cela ; la science a fait récemment de tels progrès dans ce domaine qu’il est permis d’espérer.


Quoi qu’il en soit, on peut dire que, dès maintenant, l’homme, par son intelligence, a su dompter non-seulement les animaux, mais encore les forces de la nature. Il a pu connaître les lois des choses, trouver dans les élémens bruts qui l’entourent des instrumens de puissance, extraire des entrailles de la terre le fer et la houille, et se servir du fer et de la houille pour se donner des armes et des alimens. Il a pu étudier les lois cosmiques, physiques et chimiques, prendre les forces naturelles, l’électricité, la lumière, le feu, et en faire ses agens dociles.

Les animaux sont impuissans à modifier le milieu qui les entoure. Ils n’agissent pas sur les choses : ils vivent dans la nature comme sur une scène réglée d’avance, à laquelle il leur est interdit de modifier quoi que ce soit. Au contraire, l’homme transforme la nature et l’améliore pour son propre usage. Il perce des isthmes, réunit des mers, creuse des montagnes, fait jaillir l’eau des entrailles de la terre. Il met aux continens une ceinture de fer qui réunit les régions les plus éloignées. Il prend la foudre du ciel, il prend le sel de la mer, il prend la chaleur du soleil, il prend la force des cours d’eau ; il s’empare de cette force, qui paraît insaisissable, le vent, pour enfler les voiles de son navire ou faire tourner les ailes de son moulin. Roi des êtres vivans, l’homme a réussi à être encore le roi des forces naturelles.

Quoi qu’il advienne de l’avenir, — et nul ne peut savoir quelles magnifiques découvertes sont réservées aux générations qui suivent, — l’homme peut, d’ores et déjà, être fier de son œuvre. Cet animal de corps chétif est devenu le roi des animaux. Par son intelligence il a conquis sa place à la tête de la nature vivante. C’est ainsi seulement qu’on peut dire de lui qu’il est le roi des animaux. Il est le roi des animaux, mais c’est un animal roi. Il n’y a pas un règne humain : il y a le règne de l’homme.

Sous peine de déchéance, il faut grandir encore. L’intelligence et l’association ont été les moyens de lutte ; il faut développer ces deux forces puissantes. Pour l’intelligence, il faut nous élever de plus en plus à la connaissance des lois et des choses. Quant à l’association, il faut renoncer aux luttes impies entre humains qui ont ensanglante la terre et retardé la civilisation. Que les forces humaines tendent à dompter les choses et les êtres et non à détruire des hommes.


CHARLES RICHET.