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sauvages diminuent, les animaux domestiques, dont la reproduction et l’alimentation sont réglées par l’homme, augmentent rapidement de nombre. Nous transformons par notre industrie la teneur du globe en espèces vivantes, puisque nous détruisons celles-là qui nous sont nuisibles, et que nous développons celles-ci qui nous servent. Les hommes se sont tellement multipliés qu’il leur serait absolument impossible, comme il y la quelques dizaines de siècles, de vivre des produits de la chasse. Ce serait là une ressource tout à fait insuffisante, et je ne sais si le gibier de toute la France pourrait nourrir pendant deux fois vingt-quatre heures la population parisienne. Aujourd’hui notre alimentation n’est plus subordonnée au hasard ; elle est le résultat d’une longue et patiente culture. Moutons, bœufs, porcs, poules, tous ces animaux, primitivement sauvages, sont devenus nos esclaves, et nous donnent une subsistance assurée. Nous avons même pu régler la reproduction des animaux marins et des poissons dans les fleuves. Partout nos ressources nutritives sont le fruit de notre génie industrieux. Quant au chien, au cheval, à l’âne, ils sont nos auxiliaires indispensables, et nous n’avons pas de plus i puissant secours.

Ge que nous avons fait avec les animaux, nous l’avons fait aussi avec les plantes. Les forêts ont été défrichées (et même avec trop d’ardeur) ; les landes incultes ont été ensemencées ; le blé, l’avoine, la vigne, la pomme de terre, le coton, le café, le thé, et bien d’autres plantes utiles, grâce aux soins de l’homme, couvrent maintenant l’écorce terrestre. Chaque jour voit se rétrécir l’étendue des régions stériles non cultivées par l’homme et inutiles pour lui. Ce siècle n’a-t-il pas assisté à l’immense conquête de l’Amérique du Nord par la civilisation et l’agriculture ? Qui sait ce que verront les siècles à venir ? Qui sait si la terre pourra suffire, par sa fécondité, à la progression effrayante du nombre des êtres humains ? A vrai dire, il s’agit là d’un avenir trop lointain pour qu’il soit sage d’en prendre beaucoup de soucis.


S’il fallait mettre une ombre à ce tableau, nous dirions que nous ne sommes pas des maîtres aussi puissans qu’il parait au premier abord. Les parasites qui pénètrent dans le corps des animaux n’ont pas encore pu être efficacement combattus. Toute notre puissance vient se heurter devant ces êtres microscopiques qui sèment la mort au milieu des agglomérations d’hommes. Jusqu’ici nos efforts à les vaincre sont demeurés impuissans. Il nous est plus facile de triompher des fauves les plus redoutables que de détruire les microbes du choléra, de la peste, du typhus. C’est à la destruction de ces êtres funestes qu’il faut nous acharner.