Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/875

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à l’exploitation, l’état pouvait la confier à des sociétés nouvelles constituées sous la forme de compagnies fermières, ou la conserver pour lui-même. N’y avait-il point déjà un réseau d’état, mesurant 3,000 kilomètres, composé principalement des lignes, rachetées aux compagnies de la Vendée et des Charentes, et ce premier essai d’exploitation par l’état n’avait-il pas démontré l’excellence du système ? — La nation aurait ainsi reconquis sur la féodalité financière, représentée par les compagnies, une propriété dont elle n’aurait jamais dû être dessaisie, et la république aurait légitimement repris un instrument de travail et de production que la monarchie et l’empire avaient commis la faute d’aliéner.

Cette thèse a été ardemment défendue, et elle a obtenu dans les chambres l’appui d’un parti assez nombreux pour faire écarter les combinaisons impliquant l’extension des anciennes compagnies, pour constituer et consolider le nouveau réseau d’état, et pour laisser en suspens les décisions les plus importantes sur l’exploitation des chemins de fer. Sauf quelques doctrinaires de l’école jacobine ou communiste, les promoteurs du rachat étaient en général dominés soit par une sorte d’hostilité républicaine contre les grandes compagnies, soit par la conviction, plus ou moins sincère, que l’état seul, avec ses ressources, pourrait achever les travaux et accomplir les réformes dans le service et dans les tarifs. A cela se joignaient les considérations d’ordre politique ou plutôt de tactique parlementaire qui ont obscurci dans toutes ses phases et compromis la question des chemins de fer. Par crainte d’un échec devant les chambres, les différens ministères n’osaient point prendre parti, et l’on a vu en 1882, malgré l’urgence reconnue d’une décision, l’affaire remise entre les mains d’une cent et unième commission, comme si, après tant de débats, il était permis encore à un ministre des travaux publics, à un cabinet, de ne point avoir une opinion nette, un programme résolu sur le système des voies ferrées. L’avis de cette commission est, dit-on, contraire au rachat et favorable au régime des concessions : mais le résultat de la consultation, quel qu’il soit, est devenu fort indifférent, depuis que les chambres et le pays ont pu se rendre compte, par les dernières discussions sur le budget, de la situation financière. Déjà, vers la fin de 1881, M. Léon Say avait démontré avec l’autorité qui lui appartient que le rachat était financièrement impraticable. Aujourd’hui la démonstration est sans réplique : puisque le trésor éprouve dès à présent le plus grand embarras pour trouver les ressources nécessaires à la construction du troisième réseau, à plus forte raison serait-U empêché de se procurer les moyens de racheter les anciennes compagnies, c’est-à-dire de les payer au prix stipulé par les contrats. Les plus