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aventureux reculent devant les milliards qu’il faudrait ajouter à notre dette ; la situation actuelle de notre crédit ne comporte pas de tels engagemens. Bref, le rachat est impossible, à l’heure qu’il est, et, comme la force des choses possède une puissance de persuasion à laquelle sont bien obligés de se soumettre les plus obstinés, la discussion du budget nous a montré d’ardens partisans du rachat convertis au régime des concessions, et les plus fougueux adversaires des compagnies devenus concilians et disposés à traiter avec elles.

Il est donc superflu de reprendre tous les argumens qui recommandent le système adopté en France, dès 1842, pour la construction et l’exploitation des chemins de fer, système qui consiste d’une part à associer les forces de l’état et celles des compagnies pour la construction, et, d’autre part, à laisser l’exploitation à l’industrie privée. Ces argumens que nous n’avons point cessé, pour notre part, de reproduire dans cette Revue dès 1866, c’est-à-dire à une époque où l’étude de la question n’était point faussée et viciée par l’esprit de parti politique, ces argumens sont exclusivement économiques, et ils découlent en même temps des idées libérales suivant lesquelles il importe de régler, de contenir autant que possible le rôle, les attributions et la responsabilité de l’état. Ils ne triomphent aujourd’hui que parce que leurs adversaires se trouvent en face d’une caisse vide : point d’argent, point de rachat. C’est à l’impuissance financière que sont dues ces conversions subites qui se sont révélées au cours de la récente discussion. Tels députés qui, précédemment, avaient revendiqué le droit souverain de l’état et traitaient volontiers les compagnies de Turc à Maure, ont reconnu que les combinaisons à l’aide desquelles avait été organisé le second réseau ne manquaient pas d’habileté, qu’elles avaient atteint le but, que l’on pouvait les appliquer avec profit à la constitution du troisième réseau, et que, dès lors, il y aurait intérêt à reprendre les négociations avec les compagnies.

Tout en constatant avec satisfaction ce changement d’attitude et de langage, il est permis de désirer que l’opinion publique soit prémunie contre la proposition du rachat des chemins de fer par des argumens puisés, non pas seulement dans l’exposé de la situation financière, mais encore et principalement dans le caractère même, dans l’essence des contrats qu’il s’agirait de résilier. Le régime des concessions n’a été adopté sous le gouvernement de juillet et consacré sous l’empire qu’à la suite de longues controverses. Le législateur avait à se prononcer entre l’exploitation par l’état et l’exploitation par l’industrie privée ; c’est de propos très délibéré qu’il a choisi le second système, auquel la prolongation des concessions pour une