eut réduits à l’impuissance. Cela arrive d’ordinaire. Nonobstant cette opposition, Périclès se maintint sans peine aux affaires. Les calamités qui marquèrent le début de la guerre du Péloponnèse, qu’il avait provoquée, changèrent les sentimens du peuple à son égard. Ses ennemis enhardis le traduisirent devant les héliastes sous l’accusation de malversations ; il fut condamné à une grosse amende, et, conséquence de ce verdict, il ne fut pas réélu stratège aux élections annuelles. D’ailleurs nul ne songea à réclamer contre lui un vote d’ostracisme. L’ostracisme avait paru nécessaire à l’origine de la démocratie. Les eupatrides avaient alors une clientèle nombreuse, dévouée peut-être jusqu’à prendre les armes, et la plèbe, nouvelle encore aux libertés publiques, pouvait se les laisser ravir. Mais quand le démos connut ses droits et se fut habitué à les exercer, quand il eut affermi et affirmé sa puissance par plus d’un demi-siècle de souveraineté, il semble que l’ostracisme fut abandonné comme une arme d’un autre âge. Une preuve, c’est la fréquence des votes d’ostracisme dans la première moitié du Ve siècle et leur rareté dans la seconde[1]. Une autre preuve, c’est la rivalité qui se produisit après la mort de Périclès entre Nicias, chef du parti conservateur, et le démagogue Cléon, rivalité aussi ardente qu’avait pu l’être celle de Thémistocle et d’Aristide, et dans laquelle pourtant l’ostracisme n’intervint pas. Peu après, il est vrai, le peuple, poussé par un vulgaire démagogue, ridiculement ambitieux, allait encore « faire parler les coquilles ; » mais ce vote d’ostracisme, qui eut une issue si imprévue, devait être le dernier.
Alcibiade et Nicias étaient en lutte dans l’assemblée. Nicias avait l’appui des riches, des hommes âgés, des paysans, contingent ordinaire du parti conservateur ; la plèbe de la ville et des ports soutenait Alcibiade. Les Athéniens étaient divisés sur une question capitale de politique extérieure. La classe des riches, que ruinaient les armemens, qui étaient exclusivement à sa charge, et les ravages des Lacédémoniens sur les terres de l’Attique, qui lui appartenaient presque toutes, voulait le maintien de la trêve avec Sparte. C’était aussi le vœu des paysans, par crainte des incursions de l’ennemi, qui les forçaient à abandonner leurs champs, leurs troupeaux et
- ↑ On compte, en effet, huit ou dix votes d’ostracisme jusqu’à l’exil de Thucydide (444 av. J.-C. environ), et on n’en cite qu’un seul, celui qui fut provoqué à l’occasion de la rivalité de Nicias et d’Alcibiade (416 av. J.-C.), dans la seconde période du Ve siècle. Plutarque parle bien du bannissement par l’ostracisme de Damon, sophiste et maître de musique, bannissement qui aurait vraisemblablement eu lieu entre 410 et 430. Mais il est fort douteux qu’on ait appliqué l’ostracisme à un personnage non politique. Il est probable que Plutarque aura confondu l’expulsion par l’ostracisme avec le bannissement légal de Damon ou son exil volontaire dans la crainte d’une condamnation.