leurs demeures pour venir bivaquer misérablement à l’abri des remparts d’Athènes. La plèbe, que les hautes soldes militaires et maritimes, les grands travaux des arsenaux, la paie des assemblées, plus fréquentes en temps de guerre, faisaient vivre largement, demandait la reprise des hostilités. Jeune, ardent et ambitieux, Alcibiade, qui commençait sa carrière et qui ne pouvait trouver que sur les champs de bataille la suprême renommée qu’il rêvait, était naturellement dévoué à la politique belliqueuse. Vieilli dans les combats, mais timide à l’excès, Nicias ne désirait que le repos, qui d’ailleurs lui assurait le maintien intact de sa réputation d’habile capitaine. Était-ce pressentiment du sort terrible que lui réservaient les armes ? la constante préoccupation de cet homme de guerre était de ne pas faire la guerre.
Il y avait alors parmi les démagogues d’Athènes un certain marchand ou fabricant de lampes nommé Hyperbolos. Méprisé de tous, mais insensible à l’opinion, il s’enorgueillissait de braver l’infamie. Il était la victime grotesque des poètes comiques. Le peuple riait d’Hyperbolos sur le théâtre et ne l’écoutait guère au Pnyx ; cependant il se servait souvent de lui quand il y avait quelque calomnie à répandre contre un citoyen éminent ou quelque accusation grave à porter contre les magistrats. Cet homme eut l’idée d’exploiter à son profit la rivalité de Nicias et d’Alcibiade. Il conçut le dessein, singulièrement ambitieux pour un valet de la multitude, de faire bannir Alcibiade et de le remplacer comme chef du parti populaire. Sans les suggestions intéressées d’Hyperbolos, il est fort présumable que le peuple n’eût pas songé à réclamer dans ces circonstances un vote d’ostracisme, pas plus qu’il n’y avait songé lors de la lutte analogue de Cléon et de Nicias. L’ostracisme semblait n’être déjà plus dans les mœurs publiques. Hyperbolos courut les carrefours et les rues, représentant que la division des deux chefs était préjudiciable aux intérêts publics et dénonçant l’ambition effrénée d’Alcibiade, ses grandes richesses, ses talens, son crédit sur le peuple, sa conduite licencieuse comme pouvant le mener à la tyrannie. Après s’être assuré ainsi un certain nombre de voix pour le vote de l’assemblée, Hyperbolos fit parvenir au conseil des cinq cents la demande d’un vote d’ostracisme. Le sénat n’avait pas à repousser une proposition qui n’avait rien d’illégal. A l’assemblée, la motion d’Hyperbolos ne rencontra pas beaucoup d’opposition, car, la question étant posée, les partisans de Nicias pensaient que cette épreuve décisive tournerait à la perte d’Alcibiade, et les partisans d’Alcibiade espéraient que le résultat du scrutin serait l’exil de Nicias. L’assemblée décida qu’il serait précédé dans les délais légaux à un vote d’ostracisme. Cependant les deux adversaires avaient lieu de s’inquiéter.