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des combats oratoires et des tiraillemens dans la conduite des affaires publiques. Sous ce dernier point de vue, la chose était fâcheuse, encore qu’elle fût rendue inévitable par le jeu même des institutions d’Athènes. Si de peur de tels conflits, aucun orateur n’eût voulu jamais user de son droit constitutionnel en s’opposant à l’adoption d’une mesure, la liberté de la discussion eût été supprimée de fait. Il convient de remarquer aussi que dans la lutte entre Thémistocle et Aristide, Thémistocle l’emportait le plus souvent, quel que fût le respect inspiré par Aristide. Ce qui le prouve, ce sont les grands armemens navals commencés malgré l’opposition d’Aristide, c’est surtout le vote d’ostracisme lui-même, où le peuple appelé à décider se prononça contre l’adversaire de Thémistocle. Le bannissement qui quelques années après, frappa Thémistocle, subissant le sort commun à tous les grands hommes d’Athènes, — id quod optimo cuique Athenis accidere solitum est, dit Cicéron, — est encore moins justifiable. La division n’était plus dans l’assemblée. On exila Thémistocle sous le prétexte qu’on craignait son ambition. En admettant même que cette crainte fût bien fondée, un ambitieux tel que Thémistocle était plus dangereux au dehors de la cité que dans la cité. Exilé, Thémistocle fut bien près de combattre les Athéniens afin de rentrer dans Athènes. S’il ne fût pas mort à temps pour sa gloire, peut-être eût-il rallumé la guerre entre les Grecs et les Perses. Cimon fut soumis à l’ostracisme parce qu’il voulait faire revenir sur une loi votée illégalement. Il eût été plus simple de passer outre aux réclamations de Cimon, puisqu’en définitive l’assemblée était souveraine, que de le bannir et d’ajouter ainsi à une loi illégale une condamnation arbitraire. L’expulsion de Cimon, nous l’avons déjà fait remarquer, ne fut pas seulement inutile, elle fut désastreuse. La guerre reprit avec Sparte, et les Athéniens, battus en plusieurs rencontres, durent rappeler de l’exil leur meilleur général. La rivalité entre Périclès et Thucydide motiva le bannissement de ce dernier. Sur l’application de l’ostracisme dans ces circonstances, il y a à redire ce qui a été déjà dit plus haut à propos de l’exil d’Aristide. Les débats sur les questions d’intérêt public étaient une des conditions de la constitution d’Athènes, et quand il se trouvait deux éminens hommes d’état opposés l’un à l’autre, ce dualisme était moins un danger pour l’état qu’une garantie pour la liberté. Ils se faisaient mutuellement contrepoids et la démocratie échappait ainsi à la trop grande prépondérance d’un seul. Thucydide banni, Périclès eut pendant plus de dix ans le pouvoir absolu, presque la dictature. La dictature était-elle donc l’objet que se proposait le peuple athénien ? Certes il est déjà assez difficile pour l’historien de raconter les faits tels qu’ils se sont passés sans qu’il cherche à dire comment ils auraient pu se