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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/911

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sacrifier à cette impatience ce qui lui paraît être la raison et la vérité. Autrefois on était tenté de croire que l’art grec n’avait pas eu de prédécesseurs ni de maîtres, qu’il ne devait rien qu’à lui-même, qu’il s’était élancé tout d’un coup et sans aide de ce sol fécond. C’est une illusion à laquelle il faut renoncer : la Grèce a été d’abord à l’école de l’étranger ; elle a imité avant d’être originale, il n’est plus possible d’en douter depuis les curieuses découvertes de MM. de Cesnola et Schliemann. Il faut reconnaître qu’elle a reçu de l’Orient, par l’intermédiaire des Phéniciens, les principes et les premiers élémens des arts. On ne peut donc plus l’étudier seule, comme a fait Ottfried Müller, et elle a des ancêtres auxquels il faut remonter, si l’on veut connaître ses origines. Voilà pourquoi M. Perrot, qui pense « qu’on ne doit pas la détacher du milieu où ses racines plongent en tous sens et d’où elle a tiré ses premiers sucs nourriciers, » a commencé l’étude de l’art grec par celle de l’art égyptien.

A la vérité, M. Perrot n’est pas un égyptologue de profession, mais il a su fort habilement profiter des travaux des égyptologues. Il connaissait déjà le musée de Boulaq, et il avait vu l’Egypte. Il s’est mis à lire tous les voyageurs qui, depuis l’expédition française jusqu’à nos jours, l’ont visitée et décrite, tous les savans qui ont essayé de déchiffrer sa langue et de comprendre ses monumens ; il a surtout étudié à fond les ouvrages de Mariette, de Lepsius, de Maspero, et il est parvenu à s’inoculer leur science. Nous avons à ce sujet un témoignage qui n’est pas suspect et que je veux citer. A peine son livre avait-il paru que l’Allemagne, reconnaissant qu’elle n’avait rien de semblable, s’est empressée de le traduire. En tête de l’édition allemande, M. George Ebers, un savant dont personne ne conteste l’autorité, a placé une préface où il juge l’ouvrage en le présentant au public. « Le premier volume, dit-il, traite de l’art égyptien, et cela de telle manière que rien de pareil n’avait été fait encore jusqu’à ce jour. L’art oriental exige, pour être compris, qu’on soit familiarisé personnellement avec l’Orient, et quand un homme désire aborder une œuvre comme celle que vient d’entreprendre George Perrot, on a le droit de demander préalablement qu’il ait fait une étude spéciale de toutes les régions dont il veut parler et qu’il ait exploré non-seulement la Grèce, objet suprême et enchanteur de ses méditations, mais encore l’Asie antérieure et l’Egypte. Perrot a eu cet avantage de parcourir, en chercheur curieux et en homme qui s’entend à faire des trouvailles, les principaux états civilisés de l’Orient ; de plus, c’est un savant qui a reçu une éducation méthodique et critique ; enfin, comme membre de l’Institut et comme professeur de l’Université de Paris, il travaille dans des conditions excellentes ; il a sous la main ou il peut se procurer toutes les ressources dont dispose la science moderne, tous les documens que