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le passé et le présent ont accumulés. La quantité de matériaux amassés est telle qu’il fallait une rare puissance d’étreinte pour s’en rendre maître et une extrême délicatesse de main pour les mettre en œuvre d’une façon heureuse. Ces deux qualités, Perrot les possède. Avec une énergie que rien ne rebute, il a consommé le défrichement du vaste champ de connaissances qu’il voulait féconder. Son coup d’œil pénétrant et sûr a découvert le jeu de chaque pièce vivante dans le grand organisme qu’il étudie. Ajoutons qu’il a en outre une faculté qui appartient en propre à beaucoup des fils de la France, le don de savoir exposer les choses les plus arides et les plus graves d’une manière aimable et attachante. » J’aurais dit à peu près les mêmes choses que M. Ebers ; mais il vaut mieux que l’éloge vienne d’un pays d’où nous ne sommes pas accoutumés à recevoir des flatteries.

Nous voilà donc en possession d’un livre qui nous manquait et qui, on peut le dire après M. Ebers, manquait aux autres comme à nous. C’est une œuvre de savant et de vulgarisateur à la fois qui fait avancer la science et qui la propage. Son grand mérite est de nous donner sur le caractère et l’histoire de l’art égyptien des notions précises. Assurément on peut dire que les monumens de l’Égypte ont une originalité si saisissante qu’il n’est pas difficile d’en démêler les qualités maîtresses. On n’a pas besoin d’une longue étude pour en avoir le sentiment. Les premiers qui entrèrent dans la grande salle lie Karnak ou qui aperçurent de loin le profil des pyramides se dessiner dans le ciel leur trouvèrent d’abord un air de grandeur dont ils furent frappés. « Les ouvrages des Égyptiens, dit Bossuet, étaient faits pour tenir contre le temps. Leurs statues étaient des colosses ; leurs colonnes étaient immenses. L’Egypte visait au grand et voulait frapper les yeux de loin, mais toujours en les contentant par la justesse des proportions[1]. » Cette première impression, que tout le monde éprouve, que Bossuet a si vivement ressentie à la vue de quelques dessins imparfaits, en lisant quelques récits confus, M. Perrot la raisonne et l’explique ; il la rend plus claire dans notre esprit en nous disant d’où elle naît et ce qui la produit ; il montre comment l’immense largeur des bases, dans les édifices égyptiens, l’inclinaison en talus, qui leur donne à tous une tendance pyramidale, ce qu’ils ont ainsi de

  1. Tous les critiques ont remarqué le goût particulier de Bossuet pour l’Egypte. Cette nation grave et sérieuse, qui faisait de si bonnes lois, et qui s’astreignait à les observer, lui paraissait la plus sage de l’ancien monde. Dans son admiration pour elle, il va jusqu’à souhaiter que Louis XIV entreprenne d’y faire des fouilles. « Maintenant que le roi pénètre aux parties les plus inconnues et que ce prince étend aussi loin les recherches qu’il fait faire des plus beaux ouvrages de la nature et de l’art, ne serait-ce pas un digne objet de cette noble curiosité de découvrir les beautés que la Thébaïde renferme dans ses déserts et d’enrichir notre architecture des inventions de l’Egypte ? »