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meilleur. Et inversement, si quelque roman est bon et contient, comme l’Evangéliste, des parties de premier ordre, je ne vois pas qu’il importe qu’il soit ou non, dans ces parties mêmes, dans ces parties surtout, imité de la réalité prochaine et calqué sur le vif. Le sens littéraire est comme le sens esthétique. L’un et l’autre, en ce qu’il a d’exquis, consiste peut-être essentiellement dans une vive perception de la vérité supérieure des choses, indépendamment de toute connaissance et préalablement à toute confrontation du modèle et de l’œuvre d’art, drame ou roman, paysage ou portrait. Aussi, pour ma part, ce que je persiste à goûter dans les romans de M. Daudet, dans l’Evangéliste comme dans le Nabab, c’est bien moins ce que M. Daudet y a mis de ses modèles que ce que M. Daudet y a mis de lui-même. Quelque intérêt que je prenne à l’œuvre, j’en prends bien plus encore à l’artiste, ou mieux encore, et allant plus loin, je ne saurais trouver un exemple meilleur que ce roman de l’Evangéliste pour montrer que là où M. Daudet fournit quelque matière à critique, c’est pour avoir imité de trop près, tandis qu’au contraire, là où il est excellent, c’est pour avoir, d’une manière ou d’autre, et plus ou moins hardiment, altéré la réalité.

Il a voulu dénoncer publiquement cette perversion maladive du sentiment religieux, qui bien loin d’être particulière au papisme, comme les protestans voudraient nous le faire croire, et comme beaucoup d’honnêtes libres penseurs le croient sérieusement, ou ont l’air de le croire, n’a jamais, au contraire, ni nulle part, plus cruellement sévi, ni plus ridiculement, — si j’ose m’exprimer ainsi, — que parmi les communions protestantes. Les convulsionnaires de Saint-Médard et les adorateurs du Sacré Cœur de Jésus ne sont après tout qu’un accident sans importance dans l’histoire de la catholicité ; mais, hurleurs ou trembleurs, et vingt autres que l’on pourrait citer, l’histoire du protestantisme n’est remplie que de cette succession de sectes. Aussi faut-il toute la naïveté du pasteur Aussandon pour demander à Mme Autheman de quel droit, à quel titre elle enseigne et substitue son interprétation de la Bible à celle qu’a prétendu fixer la faculté de théologie. De quel droit ? Mais du droit qu’a tout protestant de protester et de dresser son protestantisme, à lui, en face du protestantisme officiel. Or ce que M. Daudet a très bien compris, c’est que, parmi tant de sectes, il n’en pouvait choisir aucune pour la représenter sous ses traits naturels. Il ne nous a peint nulle part cette a armée du salut, qui couvre Paris d’affiches gigantesques, apposte au bord de nos trottoirs des jeunes filles vêtues de knickerbrocker et distribuant la réclame pour Jésus feuille à feuille, » mais, quoi qu’en ait dit le chroniqueur, il s’est contenté de lui donner en passant une atteinte légère, et dans cette rapide esquisse il a même omis plus d’un trait qu’un véritable reporter n’eût eu garde d’omettre : c’eût été trop ridicule. Il s’est également contenté d’indiquer, et sous la responsabilité du Dr Chapman ou de Mrs Trollope, les excès