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en scène un chef de cabinet, faire parler Napoléon III, tout cela était hérissé de difficultés. » Il est vrai que M. Alexis ajoute : « Pour Compiègne, en particulier, un livre très documenté, intitulé : Souvenirs d’un valet de chambre, lui donna à peu près tout. » Voilà qui va bien, mais pour pénétrer dans l’âme d’un ministre et connaître le cœur des mille personnages divers qui l’entourent, M. Zola possédait-il les Souvenirs d’un huissier ? Non, sans doute ; aussi n’est-ce pas le roman d’un ministre qu’il a fait, mais tout au plus, sur un fond de fantaisie, le portrait colorié crûment d’un fort de la halle aux suffrages.

Est-ce Numa Roumestan qu’il faut comparer à Monsieur le Ministre ? Il est vrai qu’en beaucoup de points la fable des deux ouvrages est pareille. Mais plutôt que le roman d’un ministre, Numa Roumestan est le roman d’un méridional marié à une femme du Nord. Le héros de M. Daudet peut rester avocat, sans devenir député ni ministre : pourvu qu’il reste Provençal, faible et bon enfant, dupe de son imagination oratoire, — qui le trompe avant de tromper les autres, — menteur et sincère, marié à une femme froide, raisonnable et véridique, son caractère et ses aventures seront encore à peu près les mêmes ; il n’est guère homme politique ni modifié par la vie politique. Aussi l’auteur a-t-il pu, dans le cours de son travail et parce qu’il voyait tourner le vent de l’opinion publique, transporter son héros de l’extrême gauche à l’extrême droite : il pourrait de même, dans une prochaine édition, le ramener de l’extrême droite à l’extrême gauche sans que l’œuvre en souffrît ; aussi a-t-il écrit sur la couverture du volume : à Numa Roumestan, mœurs parisiennes ; » et non : « Numa Roumestan, mœurs politiques. » Les choses et les gens de la politique ne tiennent qu’une médiocre place dans tout l’ouvrage ; et c’est justice, puisque le héros n’est que médiocrement politique.

M. Zola n’avait inventé qu’un tempérament ; il en avait décrit les fonctions dans un milieu politique qu’il ne connaissait pas. M. Daudet, plus subtil, avait imaginé un caractère, mais un caractère d’homme privé ; il l’avait laissé dans la vie politique tel qu’il aurait pu se développer dans la vie privée. M. Claretie a voulu produire un caractère, mais un caractère d’homme public ; et le jeter dans la vie publique, mais l’y montrer corrompu par cette vie. Pour apercevoir ce beau sujet, il n’était pas besoin de la faculté de divination que M. Alexis, — le traître ! — reconnaît au chef de l’école expérimentale. Il suffisait, mais c’est quelque chose, d’être un observateur avisé des mœurs du jour. Après la chute du second empire, après les désastres de la guerre, on avait vu arriver à Paris, ou plutôt à Versailles, des hommes nouveaux ; les députés de la province à l’assemblée nationale. Beaucoup étaient jeunes, d’esprit libéral, de volonté droite, et de cœur pur. Tenus à l’écart de la chose publique par le gouvernement personnel, grandis à