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l’on veut, l’exil pouvait avoir une certaine efficacité autrefois, à une époque où les princes bannis, errans parmi les nations étrangères, étaient presque sans relations avec leur pays, où les communications et les voyages étaient lents et difficiles. Aujourd’hui avec les chemins de fer, avec le télégraphe et toutes les facilités de communication instantanée, avec la liberté universelle de la presse, à quoi sert l’exil de ceux qu’on appelle des prétendans ? Il n’est qu’une rigueur inutile contre ceux qui peuvent publier leurs manifestes, leurs appels au peuple à Bruxelles ou à Londres comme à Paris, s’ils le veulent, et une iniquité brutale autant qu’imprévoyante contre ceux qui n’ont cessé de se renfermer dans leur dignité, dans la soumission silencieuse aux lois. La vérité est qu’on a fait beaucoup de bruit pour rien, qu’on s’est fort imprudemment jeté sur des armes avec lesquelles on pourrait se blesser soi-même. On ne s’aperçoit pas que, s’il y a des dangers aujourd’hui, ca n’est pas parce que des princes conspirent par leur nom, par leurs intentions, comme on le dit. Ils n’ont pas à conspirer ! Les vrais et les plus dangereux conspirateurs, ce sont les républicains qui mettent tout leur zéle et leur passion à ruiner et à déconsidérer la république, à rendre tout gouvernement impossible, à offenser les consciences en bannissant Dieu et la liberté de nos lois, de notre enseignement, comme le dit avec une si vive éloquence M. Jules Simon dans ce livre récent où il trace pour l’instruction de tous le bilan d’une situation compromise. Les vrais conspirateurs, et l’auteur de Dieu, Patrie et Liberté ne le cache pas, ce sont ceux qui ont conduit la république à cette crise évidente où le plus difficile des problèmes est de refaire un gouvernement avec un sénat qui n’a que des velléités, une chambre qui n’a que des passions et des partis qui n’ont plus d’idées.

On aura beau se payer de sophismes de parti, d’explications intéressées ou d’illusions, on ne peut ni changer, ni déguiser le caractère d’une politique qui, depuis quelque temps, porte de si singuliers fruits, qui, en mettant le trouble dans la situation intérieure du pays, laisse de plus la France effacée et désarmée dans sa représentation, dans son action extérieure. M. Jules Simon a, dans son livre, au courant de ses vives et pressantes démonstrations, un mot d’une vérité cruelle : «… Et le résultat de cette politique ? dit-il, c’est qu’au dedans il n’y a plus de gouvernement et au dehors il n’y a plus de France. » L’éclipse n’est que passagère sans nul doute ; elle n’existe pas moins.

Le fait est que, pour le moment, la France est dans des conditions assez étranges, qu’elle n’a pas connues souvent dans son histoire ; depuis près de quinze jours on en est venu à ce point qu’il n’y a plus même de ministre des affaires étrangères : notre politique extérieure est malade comme nos ministres. M. Duclerc s’est retiré vaincu par les impossibilités de toute une situation et par la maladie ; son successeur improvisé pour la circonstance et déjà démissionnaire à son tour, M. Fallières, n’est