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d’ailleurs à ce moment une fidélité passionnée à la cause de la mère patrie. En 209, quand une partie des colonies latines, lasses de la prolongation indéfinie d’une guerre à laquelle on ne voyait point de terme, refusèrent à Rome de continuer à lui fournir leurs secours en hommes et en argent, il n’y en eut que dix-neuf qui se déclarèrent prêtes à soutenir encore la lutte jusqu’à entier épuisement, et Luceria fut du nombre.

L’histoire garde ensuite le silence sur les destinées de Luceria jusqu’au temps de Cicéron, qui dans son discours pro Cluentio en parle comme d’une des villes les plus florissantes de l’Italie. Dans la guerre civile contre César, Pompée en fit quelque temps son quartier-général avant de se replier sur Brindes : Strabon cite Luceria comme déclinant à son époque. Pourtant elle retint une certaine prospérité pendant toute la durée de l’empire. Auguste y avait envoyé une nouvelle colonie de vétérans, et les écrivains, aussi bien que les inscriptions, montrent qu’elle garda jusqu’au bout son rang colonial avec les privilèges qui y étaient attachés.

L’importance de Luceria survécut aux invasions barbares et aux ravages affreux des guerres gothiques. Paul Diacre la décrit comme étant une ville opulente sous la domination des Lombards. Mais en 663 l’empereur grec Constant II prit la ville sur ce peuple et la détruisit presque entièrement. Dès lors, et pendant six siècles, Lucera ne fut plus qu’une simple bourgade, où pourtant résidait toujours un évêque. C’est en cet état qu’elle se trouvait encore en 1223, lorsque Frédéric II contraignit les musulmans de Sicile révoltés à demander l’aman et à se mettre à sa merci. Jugeant imprudent de les laisser dans le Val di Mazzara, où leurs traditions d’indépendance étaient trop vivantes et où il leur était toujours facile, en cas de rébellion, de recevoir des secours de leurs frères d’Afrique, ne voulant pas non plus priver ses états de cette vaillante et industrieuse population par une expulsion pareille à celle que l’Espagne commit plus tard la faute immense d’accomplir, il se décida à les dépayser en les transplantant sur le continent italien. La masse principale des Arabes siciliens fut donc par ses ordres transportée à Lucera, Girofalco et Acerenza. Lucera en fut la principale colonie, et pour la recevoir Frédéric fit élever une vaste forteresse, où ils vécurent d’abord séparés de la population chrétienne de la ville.

Ainsi transplantés, ces Arabes acceptèrent rapidement leur nouveau sort avec la facile résignation qui est le propre des musulmans, et même bientôt ils s’attachèrent avec un ardent dévoûment au souverain qui leur avait conservé la vie sauve quand les habitudes et le droit de la guerre, dans les mœurs du temps, lui auraient permis de les exterminer. Astreints tous au service militaire, leurs milices furent pendant plus de vingt ans le nerf et le seul noyau permanent des