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plus facile. Le musée national, sur la route de Patissia, a été construit, comme tous les beaux monumens d’Athènes, par un riche Hellène habitant l’étranger, M. Bernardakis, de Saint-Pétersbourg : il est très mal installé et encore plus mal entretenu. Beaucoup de statues sont couchées par terre, d’autres sont enfermées dans des caisses que j’ai vues dans le vestibule du musée pendant trois ans. Les restaurations, que l’on n’a du moins pas multipliées, paraissent l’œuvre de paysans ou de maçons : il y a notamment une Bacchante couchée, la seule figure de femme nue qu’on ait encore trouvée à Athènes, qui, découverte en 1880 à l’hôpital militaire, a été défigurée d’une manière incroyable par un gâcheur de plâtre. Les piédestaux, et ils sont peu nombreux, ne portent ni étiquettes ni numération fixe. On semble même décidé à ne pas numéroter les objets avant que des catalogues soient rédigés en grec, ce qui se fera encore attendre longtemps. L’intention de l’éphorie est apparemment de rendre inutiles, par des déplacemens continuels, les inventaires consciencieux qui ont été publiés à l’étranger. Je n’en finirais pas si je voulais signaler toutes les défectuosités du musée national : vases entassés dans des armoires de manière à se masquer les uns les autres, fragmens de marbre empilés plutôt que rangés, expositions à contre-jour. Les années se succèdent sans qu’un progrès s’accomplisse, sans qu’une seule salle soit installée définitivement. En 1879, on a trouvé à Milo une statue colossale de Neptune, qui, tout en ne méritant pas d’être comparée à notre Vénus, n’en est pas moins une œuvre très importante de l’époque alexandrine. La statue est complète, mais brisée en une dizaine de morceaux. Il aurait fallu huit jours pour les souder ensemble et deux jours pour placer la statue sur un piédestal. L’éphorie générale en a décidé autrement. Pendant un an, le Neptune est resté dans une caisse à l’entrée du musée; pendant deux autres années, il s’est étalé en fragmens le long d’un mur. Au mois d’octobre 1882, je l’ai vu une dernière fois en cet état, et il est probable qu’il y est encore. Cette statue, que les Athéniens ne connaissent pas et que l’on traite avec tant d’insouciance, a fait beaucoup de bruit lors de sa découverte : un piquet de troupes a été envoyé exprès à Milo pour empêcher que le propriétaire ne la fît passer à l’étranger. Si elle était venue rejoindre la Vénus au Louvre, quelle clameur se serait élevée dans toute la Grèce! Et maintenant qu’elle est au musée national, l’opinion publique s’en préoccupe si peu qu’elle n’oblige même pas l’éphorie à la faire placer sur un piédestal. Les Grecs aiment posséder, mais ils sont trop arriérés encore pour savoir jouir de ce qu’ils possèdent. Ils ont d’ailleurs raison de vouloir garder pour eux de belles œuvres :