Nous continuâmes à monter, dépassait Bruno et sa société qui s’était arrêtée à causer avec le propriétaire du foin. La gorge désolée déboucha enfin dans des champs de maïs ; nous traversâmes un village assez misérable avec des balcons croulans, des pignons noircis et une fourmilière d’enfans accourus pour nous voir passer. Une large vallée fraîche et verte, — au-delà un chaos, formé il y a cent ans par la chute de certaine crête de montagne qui écrasa les gens, et les maisons et les troupeaux, arrêtant la rivière et créant un lac bleu ; — et l’autre bout du lac, un village ; — nous étions arrivés.
La musique retentissait dans la rue ; les garçons, marchant bras dessus bras dessous, en longs gilets à fleurs, une plume au chapeau, lançaient dans les airs à pleine voix un trille joyeux. C’était jour de fête ; chacun avait endossé sa chemise blanche, tous les enfans étaient débarbouillés en l’honneur de saint Barthélemy ; les mères se reposaient sur le pas de leurs portes, les pères fumaient leurs pipes à couvercle d’argent, et un grand jeu de pallone avait été organisé dans la rue du village. Notre arrivée détourna l’attention de quelques badauds, mais non pas celle des joueurs. Leurs balles volaient au-dessus des toits, frappaient quelquefois une fenêtre et étaient violemment relancées dehors aux cris du peuple excité.
Ces maisons tyroliennes ressemblent à des écuries lorsqu’on y pénètre ; en bas s’entassent les chevaux, les vaches, les chariots ; mais à mesure que l’on monte tout s’embellit. Au premier étage, l’hôtesse sort de sa cuisine pour vous saluer, et vous apercevez dans la salle des chapeaux pointus, des manches de chemise, des jambes chaussées de guêtres se pressant avec bruit autour d’une table couverte de bouteilles. Le second étage en revanche est tranquille, avec des fleurs sur le balcon, et chez la signora Sarti, à l’Aigle noir, les fleurs étaient plus fraîches, les chambres mieux aérées, plus confortables que partout ailleurs. Il fallait escalader les lits tant les paillasses en étaient hautes ; les planchers grattés avec soin, les grands pois d’œillets couronnant le poêle, les bancs rangés contre le mur, tout avait un air de propreté. Nos chambres donnaient d’un côté sur le balcon de bois qui court le long de la maison et domine ce qu’on appelle la piazzetina, une petite place noire, étouffée, aux fenêtres et aux portes cintrées de laquelle s’accrochent, pour sécher, des touffes de chanvre, tandis que dans tous les coins fleurissent les inévitables œillets. Tous les volets grands ouverts nous permettaient de pénétrer dans la vie privée de nos voisins. C’étaient comme des tableaux de mœurs inattendus et curieusement encadrés.