question. Enfin, elle parut se calmer et chargea l’un des sacs sur son épaule. Je vis que des larmes roulaient sur sa joue.
— Vous pleurez, lui dis-je, ma bonne Joanna ?
— Oui, ce monde-ci est un mauvais monde qui ne respecte rien.
— De qui donc parlez-vous ?
— Des gens qui inventent de vilaines histoires sur un ange… car c’est un ange, vous le croyez bien, vous, signora, et vous avez raison. Mais les autres… Et envient me répéter… et on tourmente la padrona !
— Ne pourrait-on arrêter ces mauvais propos ? demandai-je.
— Eh ! que faire ? que dire ? Je ne suis qu’une servante. Mario, lui, est le maître. Il est venu pour tout arranger censément,.. pour tout déranger plutôt ! De l’orgueil, il n’a que de l’orgueil… et on va sacrifier un agneau, une colombe à cet orgueil-là !
Les Italiennes deviennent éloquentes quand la passion s’allume chez elles, mais au même instant la voix de la signora Sarti éclata sur l’escalier : — Beppo ! Beppo ! — Et les yeux bleus reprirent leur expression mélancoliquement stupide, tandis que la grande fille, courbée sous son sac, me disait tranquillement :
— Elle l’appelle pour tourner la polenta. On fait de bonne polenta chez nous. Voulez-vous venir en goûter ?
Dans la cuisine, sur un grand feu de bois, une immense chaudière renfermait la farine de maïs délayée, que Beppo, le vieux domestique, remuait avec un bâton, s’excitant à mesure que la pâte épaisse lui opposait plus de difficultés. Enfin, il sauta sur la pierre de l’âtre pour s’assurer que la masse compacte et résistante était suffisamment durcie. Puis, tandis que le feu s’éteignait et que Beppo, épuisé, s’essuyait le front, Joanna apporta un grand plateau de buis. Sur ce plateau on fit rouler la polenta, une avalanche de pâte fumante. Tonina coupa le bloc par la moitié au moyen d’une ficelle, ceci pour les domestiques, cela pour la table des maîtres. Puis un grand calme remplaça l’agitation qui avait régné dans la cuisine, dont les cuivres étincelaient sur les murs blancs protégés par un grand crucifix de bois noir. Tout à coup, comme une apparition sortie de la chaudière aux proportions quelque peu magiques, le comte se trouva parmi nous :
— J’aurai besoin d’une chambre pour la nuit, dit-il ; vous me ferez souper à huit heures. Voici du gibier… plus qu’il ne m’en faut.
La petite Fortunata, le visage rayonnant, courut lui prendre des mains le gibier en question. Il sourit en la remerciant, puis nous l’entendîmes monter l’escalier quatre à quatre. La signora Sarti était devenue très pâle, elle regardait son fils ; Tonina se redressait