— Calmez-vous, lui dis-je, tout est pour le mieux. Le comte n’a jamais eu de bonnes et sérieuses intentions.
— Vous parlez comme les autres, répondit-elle. Mais Fortunata et moi-même, nous savons à quoi nous en tenir. Dans le temps, il était tout près de l’épouser. On l’a soupçonné, on lui a fait injure. C’est un homme très vif, mais un si bon cœur ! Tout est fini maintenant. Cette vilaine fleur en est cause… et moi aussi. Qui donc du reste n’a pas eu tort ?
Avec un hochement de tête et un gros soupir, Joanna reprit deux grands seaux de cuivre, dont elle était armée le plus souvent, et descendit en les faisant sonner l’un contre l’autre.
Il semblait probable que le comte ne reviendrait plus après ce qui s’était passé.
— Per Bacco ! j’y compte bien, disait le caporal.
— Espérons-le, reprenait Tonina de son air placide. Nata se résignera sans doute à l’oublier. Elle a été sotte. Ce qu’il lui faut, c’est d’épouser, comme moi, un homme de son rang, et alors elle pourra continuer à tenir l’auberge.
— Patience ! patience ! reprenait Joanna. Tout n’est pas fini encore. Nata va mourir de chagrin, et moi, croyez-vous que je lui survive ? Et la padrona, elle en aura le cœur brisé. Voilà ce qui arrivera si le comte nous abandonne. — Puis, secouant son grand chapeau, elle reprenait entre ses dents, tout bas : — Heureusement il pourra revenir quand Mario aura le dos tourné.
Notre caporal, dont le congé touchait à son terme, soupçonnait peut-être qu’il en serait ainsi effectivement, car il prit ses mesures pour faire partir Nata. Plus elle irait loin, mieux cela vaudrait. Il y avait leur cousine Hofer, qui la recevrait volontiers dans le Tyrol allemand, et lui, Mario, il passerait par là en retournant à Inspruck, où son régiment était en garnison. Mario servait l’Autriche. C’était un autocrate que ce jeune homme ; il n’admit pas d’excuse, il n’accorda pas de délai. Je suppose qu’il avait ses raisons pour cela, sachant la réputation de sa sœur plus compromise que les femmes de la famille ne pouvaient le supposer. La signora Sarti, avec un vague espoir que les choses s’arrangeraient encore, demandait du temps sous prétexte de compléter le trousseau de Nata. — Bah ! elle avait bien assez de nippes. Et pour l’accompagner, Joanna suffisait, outre que les dames anglaises, qui partaient le lendemain et s’en allaient de ce côté, consentiraient certainement à se charger d’elle.