Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il n’avait cure de l’opinion des cabinets, qu’il ne s’occupait que de l’opinion des peuples. Cela prouve que ce sénateur ne lit jamais les journaux étrangers. Ceux qui les lisent ont pu se convaincre que depuis quelques semaines le goût qui était venu à beaucoup d’Italiens, d’Espagnols et de Belges pour le régime républicain s’est considérablement refroidi et que la crise perpétuelle, la crise permanente ne leur semble pas la plus enviable des institutions.

Les monarchistes avaient prédit qu’en refusant de se donner un roi ou un empereur, la France se condamnait à l’impuissance et à l’isolement en Europe. La république avait appelé de leur sentence, et elle avait eu raison d’en appeler. Il ne tenait qu’à elle de dissiper par sa sagesse, par son esprit de conduite les préventions qu’on nourrissait à son endroit, et en vérité elle n’aurait pas eu trop de peines à se donner pour prouver aux monarchies avec lesquelles elle était appelée à vivre et à traiter qu’elle était un gouvernement sérieux, pour se gagner leur confiance, pour s’acquérir des amitiés précieuses. Naguère encore tout faisait espérer qu’elle y réussirait. A cet égard, la présence des princes sur le territoire français ne nous était point inutile. Les maisons souveraines, auxquelles ils sont alliés, considéraient qu’ils étaient pour nous à la fois un décor et une garantie. On se disait dans les cours : « Après tout, la république française n’est pas une république jacobine puisque des princes y vivent, puisqu’ils préfèrent le rôle de citoyen à celui de prétendant et qu’ils servent sous des drapeaux qui ne sont pas ceux de leurs pères. »

Voltaire était d’avis qu’au lieu d’expulser les jésuites, on s’en servît pour contenir les jansénistes, qu’à leur tour on employât les jansénistes à faire échec aux jésuites et qu’on tînt la balance égale entre les uns et les autres. Il n’était pas tendre pour eux : « Ceux-ci sont des serpens, disait-il, et ceux-là des ours. » Mais il ajoutait : « Tous peuvent devenir utiles; on fait de bon bouillon de vipère, et les ours fournissent des manchons. La sagesse du gouvernement empêchera que nous ne soyons piqués par les uns ni déchirés par les autres. » Les vrais hommes d’état savent user de tout, même de ce qui les gêne, et soit habileté, soit coquetterie, les républiques fortement constituées ne craignent pas de se servir des princes. M. Gambetta, qui de l’aveu même de ses adversaires, joignait au patriotisme la générosité de l’esprit, était bien résolu à se débarrasser des princes le jour où ils deviendraient un danger; mais il ne pensait pas que ce jour fût venu, il estimait au contraire que, dans tel cas donné, la France trouverait son avantage à se faire représenter par l’un d’eux auprès des cours étrangères. Voilà des considérations auxquelles la majorité de la chambre est absolument insensible. Il ne faut pas s’attendre qu’une assemblée qui ne prend conseil que de ses haines, de ses rancunes ou de ses