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folles terreurs ait quelque sagesse politique et qu’elle fasse prévaloir le patriotisme sur l’esprit de secte. Elle se dit chaque jour : « Soyons sectaires aujourd’hui encore; demain, s’il plaît à Dieu et que le vent tourne, nous serons patriotes. »

Nos députés sectaires feraient bien de relire la remarquable dépêche que M. de Bismarck adressait, le 20 décembre 1872, au comte d’Arnim, ambassadeur d’Allemagne à Paris. Il y disait : «Si notre politique extérieure contribuait sciemment à fortifier l’ennemi du côté duquel nous devons redouter la prochaine guerre, et à le rendre capable de conclure des alliances en lui fournissant une monarchie, on ne saurait cacher trop soigneusement les actes accomplis dans ce sens; car ils causeraient dans toute l’Allemagne un mécontentement juste et véhément et exposeraient peut-être à des poursuites de la part de la justice criminelle le ministre responsable qui aurait suivi une politique si contraire aux intérêts du pays... Je suis persuadé qu’aucun Français ne songerait jamais à nous aider à reconquérir les bienfaits d’une monarchie si Dieu faisait peser sur nous les misères d’une anarchie républicaine... La France est pour nous un salutaire épouvantail. Si elle représentait devant l’Europe un second acte du drame interrompu de la commune, chose que je ne désire point par humanité, elle contribuerait à faire apprécier davantage aux Allemands les bienfaits d’une constitution monarchique... Nous devons désirer que la France nous laisse en paix et l’empêcher de trouver des alliances. Tant qu’elle n’aura pas d’alliés, nous n’aurons rien à craindre d’elle. Tant que les monarchies marcheront d’accord, la république ne pourra rien leur faire. C’est par cette raison que la république française trouvera très difficilement un allié parmi les états monarchiques. »

M. d’Arnim, qui n’était pas toujours de l’avis du chancelier, était persuadé, au contraire, qu’une république sage, forte, bien conduite, évitant les aventures au dedans comme au dehors, mais vigilante et active, respectée chez elle comme en Europe, trouverait facilement des amis et pourrait devenir redoutable à ses ennemis. M. de Bismarck l’accusait de se forger des chimères; il tenait pour démontré que la république française ne serait ni sage ni forte ni bien conduite, que les sceptiques y feraient beaucoup de concessions aux fous, qu’on y passerait son temps à s’entre-manger, à tripoter, à patrouiller dans de petites intrigues parlementaires, et il savait que dans tous les tripots les intérêts particuliers nuisent au bien général. Pourquoi faut-il qu’on s’applique depuis quelque temps à lui donner raison? Qui peut douter que les débats provoqués par la question des prétendans n’aient causé quelque plaisir à Berlin, où les princes d’Orléans ne sont point des personæ gratæ, et qu’on n’y soit assez clairvoyant pour avoir deviné sans peine les conséquences des récens décrets et la déplorable impression qu’ils