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vêtu de blanc de la tête aux pieds, ses longs cheveux retombant en boucles blondes, sa barbe rousse encadrant son visage aux traits pâles, souffrans et doux. On raconte qu’à ce spectacle le public de Bayreuth crut voir le Christ lui apparaître et que nombre de braves gens en furent émus jusqu’aux larmes, tandis que d’autres, moins naïfs, se fâchèrent, criant à la suprême inconvenance. Ou je me trompe fort, ou Wagner avait dû compter là-dessus comme sur un dernier atout pour enlever la partie. Ce maître charlatan, après avoir musicalement et dramatiquement abusé de toutes les machines, de tous les trucs et de toutes les fantasmagories, et voulant, comme Nicolet, son ancêtre, aller toujours de plus fort en plus fort, se sera dit qu’après les décors qui marchent, les jardins botaniques où poussent des fleurs qui sont des femmes et les tours qui s’écroulent dans le feu d’enfer, i ! ne trouverait rien de mieux pour terminer sa féerie que de mettre l’évangile en tableaux vivans.

Saint Luc ne nomme point la femme, saint Jean l’appelle Marie, sœur de Marthe et de Lazare. Chez Wagner, celle qui verse les parfums et de sa chevelure essuie les pieds du Rédempteur, s’appelle Kundry, et Jésus a nom Parsifal. Quant à l’action, rien de changé, le drame reproduit trait pour trait le Nouveau-Testament ; puis, comme nous avons assisté au lavage des pieds, nous assistons au tableau du baptême et c’est le chevaher Gurnemanz travesti en saint Jean-Baptiste qui répand l’eau sainte sur la tête de Parsifal-Jésus. Excuse qui voudra ces sortes d’exhibitions, je persiste à n’y voir qu’une indécente parodie ayant le gréât attraction pour objectif. J’admets qu’un pareil drame tente un artiste, il n’en existe pas de plus grand au monde, mais si vous l’abordez, que ce soit loyalement, sans vaines circonlocutions ni mascarades, à la manière des peintres italiens de la renaissance sinon à la manière des Sébastien Bach, ce qui vaudrait mieux ; mais qu’est-ce que cette idée de nous venir transfigurer en Jésus-Christ un nigaud comme votre Parsifal ? Il ne sait ni ce qu’il veut ni ce qu’il fait, il arrive en tuant un malheureux cygne, reste hébété devant le roi Amfortas, qu’il sauverait rien qu’en lui demandant de ses nouvelles : « Comment allez-vous, sire ? où souffrez-vous ? » Et parce qu’après avoir été chassé du palais, il finit par comprendre sa bévue, le voilà aussitôt purifié, canonisé, que dis-je ? le voilà psssé Dieu, nimbé d’une auréole d’or, lui, ce jocrisse à qui les alouettes tombent dans la main toutes rôties et que pas un seul exploit ne recommande. Car cette lance dont il va se servir pour fermer la blessure du roi, cette arme aux vertus curatives, il ne l’a pas même conquise, il lui a sufli d’étendre son bras pour la cueillir dans l’air, et c’est d’un pareil bois que Richard Wagner fait son idole, un héros qu’il identifie avec la propre personne du Christ : « Gloire dans les cieux au miracle ! Rédemption au Rédempteur ! » Et pendant ce temps