Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une blanche colombe symbolisant le Saint-Esprit descend sur Parsifal — Il n’y a pour l’artiste que deux manières de toucher à ces épisodes du poème évangélique, les prendre par leur côté naïf, comme Berlioz a fait dans l’Enfance du Christ, ou les traiter humainement sans aucun masque. Le Christ en croix de Bonnat, le Christ devant Ponce-Pilate de Munkacsy, sont des interprétations réalistes d’un goût peut-être contestable au point de vue du beau esthétique, mais qui moralement n’offensent personne. Si c’est votre idée de traduire en musique la fresque de Léonard de Vinci, ayez le courage d’aller jusqu’au bout en nous représentant Jésus au milieu de ses disciples ; avec le divin faites de l’histoire, mais n’en faites point la caricature.

Considérée dans son ensemble, la partition de Parsifal répond à ce que maintenant on pouvait attendre d’une œuvre de Richard Wagner. Il n’y faut voir ni un progrès ni une décadence. C’est le système des Nibelungen qui se continue et s’accentue en s’obscurcissant toujours davantage et, le dirai-je ? ce chaos finit par avoir son charme ; on s’y accoutume ; de loin en loin les ténèbres ont l’air de s’amender, ce n’est point assurément l’aurore, mais c’est un crépuscule agréable où vous nagez dans un perpétuel moduler, un crépuscule saturé d’encens et de roses et dont l’atmosphère capiteuse vous porte aux rêveries les plus contradictoires. Un maître tout de théorie comme Richard Wagner ne se dément pas en vieillissant ; comparez Parsifal à Lohengrin, et vous trouverez à quarante ans de distance la même main, ajouterai-je, la même inspiration ? Non, certes, car les idées sont un trésor qui se dépense à mesure et qui, dépensé, ne revient pas. Ce qui reste, c’est la main, le système ; le récitatif plus que jamais absolu pourvoit seul au dialogue vocal, le motif conducteur donne le signalement des caractères et l’orchestre symphonise la situation. Quant à la mélodie, au sens général du mot, inutile de la chercher ; congédiée, expulsée pour cause d’indignité physique et morale ; renvoyé aussi le chœur polyphonique, il n’en faut plus, le système entend que ce soit les unissons qui le remplacent. Par intervalle, une oasis comme l’intermède des fleurs animées, puis le désert qui recommence, infini, implacable. En présence d’un tel parti-pris de repousser tout ce qui pourrait plaire à l’oreille, le Richard Wagner d’il y a six et dix ans vous semble presque un Boïeldieu pour la clarté, et l’on songe avec un doux regret à ces duos, à ces romances, à ces ariettes dont s’émaillaient jadis ces partitions plus limpides que l’eau de roche : Tristan et Iseult, les Maîtres chanteurs, les Nibelungen, sans parler de Tannhäuser et de Lohengrin, que l’auteur de Parsifal, arrivé à l’apogée de sa doctrine, devait aujourd’hui naturellement désavouer comme bluettes entachées de mozartisme. — On raconte qu’aux dernières fêtes de Bayreuth, Richard Wagner annonçait à ses amis son ferme propos de clore son exercice dramatique avec la partition de