tous les paysagistes. Au bas est une fontaine abondante où des femmes en costume pittoresque lavent leur linge ou puisent de l’eau dans de grandes amphores vernissées, qu’elles portent ensuite sur leur tête en marchant d’un pas cadencé avec la fierté d’allure et l’eurythmie d’hydrophores antiques. Nous gravissons la rue en pente rapide d’un faubourg assez misérable et notre véhicule s’arrête sur une place carrée, toute environnée de maisons neuves. Nous sommes à Melfi, et à notre descente M. le chanoine Araneo, fils de l’auteur d’une bonne histoire de la ville, lui-même homme érudit et d’un vrai mérite, nous reçoit pour nous servir de guide et nous offrir une de ces hospitalités qui ne s’oublient pas.
En l’an 1041, ce lieu fut témoin d’un des plus importans événemens de l’histoire du moyen âge.
Depuis un quart de siècle, les Normands avaient pris l’habitude d’aller chercher des aventures dans le midi de l’Italie, en se mettant à la solde des princes lombards de Salerne et de Capoue, des ducs de Naples ou de l’abbé du Mont-Cassin. Ils y trouvaient à la fois gloire et profit, surtout un aliment à ce besoin d’activité qui les dévorait et qui ne trouvait plus suffisamment à s’exercer depuis qu’ils étaient paisiblement établis dans une province de France. Déjà Rainulfe, l’un d’eux, avait fondé la forteresse d’Aversa dans la Campanie, dont le prince de Salerne lui avait donné l’investiture féodale avec le titre de comte. Mais dans la Pouille, où ils avaient été d’abord appelés par Melo, ils ne s’étaient plus risqués, depuis leur désastre de Cannes en 1019, à reparaître autrement qu’en pèlerins de Saint-Michel du Gargano. Il y avait alors, à quelques lieues de Coutances, dans la Basse-Normandie, un vieux chevalier banneret du nom de Tancrède, renommé par ses exploits dans les guerres de Robert le Magnifique, père de Guillaume le Conquérant. Il vivait retiré dans son château de Hauteville avec une nombreuse famille, cinq fils d’un premier lit, sept d’un second et plusieurs filles en bas âge. Trop pauvre pour laisser à chacun de ses enfans un patrimoine digne de leur naissance, Tancrède encouragea ses trois fils aînés, Guillaume surnommé Bras-de-Fer, Drogon et Humfroi, à quitter le manoir paternel pour aller tenter la fortune au-delà des Alpes. De ceux de ses fils qui avaient âge d’homme, il ne garda près de lui que le quatrième et le cinquième, Geoffroi et Serlon : ce dernier fut celui qui perpétua la famille en Normandie. Ayant rassemblé parmi leurs compatriotes assez de compagnons d’armes aussi pauvres qu’eux pour en former une petite compagnie, les trois aventuriers partirent du pays de Coutances la besace sur l’épaule et le bourdon à la main. Guaimar. prince de Salerne, les prit à sa solde ; mais bientôt l’espoir du butin les fit passer sous les