Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La politique papale à leur égard fit donc une volte-face subite. Hildebrand entra secrètement en négociations directes avec Robert Guiscard, et quand les termes d’un accord furent convenus entre eux, le pape Nicolas, au commencement de l’année 1059, se rendit de sa personne à Melfi, où il tint un concile dont l’objet annoncé était la réconciliation des Normands avec l’église. C’est dans ce concile que furent arrêtés, avec le caractère le plus solennel qu’un acte de ce genre pût alors revêtir, en l’empruntant à la religion, les articles qui devaient pour plusieurs siècles servir de base au droit politique de l’Italie méridionale.

Nicolas II y donnait aux Normands absolution pleine et entière des sentences ecclésiastiques prononcées contre eux, tant par lui que par ses prédécesseurs. Il accordait le titre héréditaire de duc de Pouille et de Calabre à Robert Guiscard, avec l’investiture pontificale pour toutes les terres actuellement au pouvoir des Normands dans ces provinces, et, de plus, il l’autorisait à s’emparer des possessions des Grecs et des Arabes en Italie et en Sicile. Richard, comte d’Aversa, proclamé prince de son côté, obtenait l’investiture de la principauté de Capoue, qu’il venait de conquérir sur le descendant de ses souverains lombards, lequel avait pourtant soutenu avec fidélité le parti du saint-siège. Pour prix de ces concessions, qui ne coûtaient rien au pape, mais qui avaient au XIe siècle une valeur morale extraordinaire, le duc Robert et le prince Richard se reconnaissaient, eux, leurs héritiers et leurs successeurs quels qu’ils fussent, hommes liges de l’église romaine ; ils s’engageaient à lui fournir des troupes contre tous ses ennemis et à lui payer un tribut annuel.

La papauté s’assurait ainsi le concours de la redoutable épée des Normands dans ses querelles futures avec l’Allemagne, et cela d’une manière d’autant plus certaine qu’elle avait eu l’habileté de faire reposer leur droit nouveau sur la négation de celui que les empereurs d’Occident prétendaient à la suzeraineté du midi de l’Italie. De son côté, Robert Guiscard, en obtenant l’érection de son nouveau duché en grand fief pontifical, faisait trancher par l’autorité suprême des consciences la question qui, depuis son élection, divisait les Normands de la Pouille. Ce qui avait été d’abord le simple commandement électif d’égaux sur lesquels le comte des Normands n’exerçait d’autorité qu’à la guerre, se transformait en une souveraineté héréditaire dont les comtes des villes devenaient les feudataires. Car le principe de l’hérédité des fiefs, existant depuis longtemps en fait, venait d’être reconnu en droit général par une loi de l’empereur Conrad. Dès lors, le pouvoir suprême ne dépendit plus d’une élection soumise au caprice de la volonté des barons ; il reposa sur le