du plus vrai patriotisme. « Mon hôte, écrit-il de Verdun, est un zélé dévot, partant un ennemi de la république. Néanmoins, lui et sa femme se réjouirent énormément quand ils virent que j’étais instruit de la marche de la guerre et des faits de l’armée. La révolution nous a appauvris, disaient-ils, mais les armées se sont bien comportées ; elles ne se sont pas battues pour la république, mais pour la patrie. Vivent nos demi-brigades! »
Dans sa course rapide à travers le pays, Hase remarque qu’il y a plus de satisfaction dans les campagnes que dans les villes. Les gens de la ville sont ruinés, le commerce est détruit, les fabriques sont fermées, les assignats (il en envoie une collection à son ami) ont causé la perte de bien des fortunes : au contraire, le paysan paie moins d’impôts, est délivré de la dîme et de la corvée, n’est plus humilié par la noblesse. Au besoin, le gouvernement pourrait se maintenir par le seul appui des campagnes.
Cette hospitalité fournie par l’habitant donne quelquefois lieu à d’amusans malentendus. « Combien d’années avez-vous servi contre vos ennemis? lui demande-t-on à Châlons. — Ainsi il n’y a pas de république chez vous?.. » On demande ce que font ses parens, ses frères et sœurs. « — Ainsi il y a aussi des curés chez vous ?» — Comme il parle d’Iéna : « Vous appartenez donc à la république ligurienne? « — « Ainsi vint au jour un terrible malentendu qui fit presque tomber tout mon courage : on avait cru que je parlais de Gênes. «Sur les explications qu’il donne au sujet de l’Académie d’Iéna, l’hôtesse assure que, du premier coup, elle avait reconnu en lui un grand seigneur et qu’elle n’avait point douté un instant qu’il n’appartînt à une très bonne famille. « Je fus peiné d’entendre un tel propos dans un pays en république. En général, le beau nom de citoyen n’est prononcé presque jamais. »
Après Châlons, celui qui devait être un jour un grave professeur de la Sorbonne fait la rencontre de deux soldats en congé, dont il devient le compagnon de route. « Jusque-là mon voyage à travers la France avait ressemblé à une promenade ; je suis fâché d’être obligé de dire que maintenant les choses ont tout à fait changé. A une demi-lieue de la ville, je rencontrai deux soldats de la 9e demi-brigade d’infanterie légère, qui allaient à Paris comme moi. Je fis connaissance avec eux et dès lors notre voyage fut la chose du monde la plus vulgaire. Tous les matins, départ à quatre heures, trois repas par jour, une heure et demie perdue à chaque repas, coucher à huit heures. Pour te donner une idée de ce nouveau mode de voyager, il me suffira de te dire que j’ai oublié les noms des trois villages où nous avons couché. Je sais seulement que nous avons passé par Montmirail, La Ferté et Meaux : j’étais malade de la marche, la peau de mes pieds qui était à vif se collait la nuit aux