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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/362

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couvertures de mon lit. C’était un état atroce. Je veux passer sur ces trois jours abominables; je veux les oublier si je puis. »

Ils entrent à Paris par la rue du Faubourg-Saint-Martin, dont les maisons misérables lui rappellent les faubourgs de Weimar : mais à mesure qu’on approche des boulevards il découvre la magnificence de la grande ville. Hase prend congé de ses compagnons, à qui il rend cet hommage qu’il est impossible de montrer plus d’obligeance et de délicatesse. Remis par eux entre les mains de quelques ouvriers allemands, il se loge dans une auberge chez le citoyen Arnoult, 22, rue du Vertbois.


II.

S’il trouvait déjà de quoi admirer dans les villages de la Lorraine, que sera-ce à présent ? Il est émerveillé de tout, enchanté de tout. A vrai dire, il était séduit d’avance. La première visite fut pour les Tuileries et les Champs-Elysées. « Comment te décrire ce qui se passa en moi lorsque mes yeux tombèrent pour la première fois sur la Seine? Le fleuve couvert de bateaux, les ponts innombrables, les édifices splendides qui s’élèvent sur les deux rives, tout cela forme un spectacle unique... Le soir, il entend battre la retraite au Louvre : à ces tambours répondent ceux des Tuileries, puis d’autres du côté des Invalides. « Je n’ai jamais rien entendu qui m’ait fait autant d’impression. »

Cependant les soucis pour l’existence ne tardent pas à se faire sentir. Il était parti d’Iéna avec un capital de 180 francs que le voyage a déjà ébréché. Comme relations à Paris il compte sur une carte que le botaniste Batsch lui avait remise pour l’archéologue Millin, et sur une recommandation verbale d’un négociant allemand à un commerçant nommé Müller dont il n’a pas l’adresse. Il va d’abord à la recherche de ce dernier : renvoyé de quartier en quartier, après avoir battu Paris en tout sens, pendant deux jours, il apprend finalement que M. Müller a quitté Paris depuis longtemps, qu’il est établi en Picardie. Millin, qu’il va trouver ensuite, le prend sur sa mine pour un riche étranger venu pour son plaisir à Paris : il se contente de l’inviter à ses soirées. « Je veux bien y aller, si je ne suis pas mort de faim. »

Pour comble de mauvaise chance, il a pour voisin de chambre une sorte d’officier en disponibilité, Corse ou Génois, qui se dit parent du premier consul, et qui lui emprunte le peu d’argent qui lui reste. « Ce matin, à sept heures, j’entends mon voisin se lever et s’avancer à tâtons vers l’escalier. «Madame! Madame! » crie-t-il un quart d’heure durant. Je me lève, je sors, je le trouve pâle comme un mort, près de s’évanouir. «Juste ciel! dit-il en pleurant, je crie