Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les félicités du ciel et qui retombe dans les tourmens éternels. Ah ! comme je me sens seul à Paris ! Je travaille presque tout le jour. »


« 16 avril 1802.

« Dimanche prochain, — cela me fait une impression étrange d’entendre parler sous la république de dimanche, nous l’avions complètement oublié, — il y a grand Te Deum à la cathédrale. Les consuls y seront. J’irai aussi : je finirai, je crois, par me faire moi-même catholique. »

Il avait rêvé la liberté : il voit s’établir le consulat à vie, puis l’empire. Tout le monde écarte avec empressement les souvenirs de la révolution : on prodigue les marques de soumission au nouveau maître. Hase fit comme les autres ; mais quelle avait été, au mot d’empire, sa première pensée ? Elle était allée aux régicides de l’antiquité. Le 28 décembre 1802 (car dès cette date il prononce le mot d’empire), il commence une lettre à son ami en citant la chanson grecque conservée par Athénée :


Cache le poignard qui menace le tyran
Sous des rameaux de myrte, comme Harmodius,
Lorsque avec son ami Aristogiton
Il délivra par sa mort sa patrie.


Il avait cru à la paix générale ; il voit commencer la série interminable des guerres de l’empire, le règne de la force, l’oppression des faibles, le mépris de tous droits. « Nous pensions que les peuples s’uniraient par les liens de l’amitié ; que le plus pauvre, le plus humble aurait une part à la lumière ; que toutes les nations se fondraient en une grande corporation fraternelle. » Les premiers actes politiques auxquels il assiste sont la rupture de la paix d’Amiens, les Anglais séjournant en France déclarés prisonniers de guerre.


La déception fut amère, l’impression profonde. Mais une fois le premier moment passé. Hase se résigna. Il descendit la pente avec la France tout entière, plus loin et de manière plus irrémédiable que la France, parce qu’il était sans racines et qu’il n’avait personne auprès de lui pour se reprendre et se ressaisir. Nous ne voulons pas cependant mettre tout sur le compte des événemens politiques : c’était au fond une nature molle et peu résistante ; le ressort moral, une fois plié, ne se releva plus. Et comme tout se tient dans l’homme, il tira de la vue des événemens quelques conclusions pratiques pour sa conduite personnelle : il se résolut à profiter de la folie d’autrui, interposant entre le monde et lui un épais matelas de politesse et de complimens. Il prit son parti de