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tout. Ainsi il n’avait pas tardé à reconnaître que les leçons d’allemand étaient surtout excellentes pour lui faire apprendre le français, et que c’était là, de beaucoup, leur plus clair résultat. Il en prit son parti, d’autant mieux que cela n’empêchait pas les élèves de venir. Même il avait une réputation pour sa « méthode philosophique. » « Cette nation est extrêmement facile à éblouir ! » En 1830, il fut nommé professeur d’allemand à l’École polytechnique. Là, il était chargé, moyennant une leçon par semaine, d’enseigner une langue compliquée et difficile à un nombreux auditoire très inégalement préparé, beaucoup plus préoccupé de mathématiques que de grammaire, d’ailleurs assez dédaigneux d’un cours qui ne comptait pour rien au classement final. M. Hase, en homme d’esprit, entretint ces jeunes gens de ses voyages, leur donna en passant quelques notions sur l’antiquité classique, et leur laissa à tous le souvenir d’une bonhomie exquise.

En 1852, une chaire de grammaire comparée fut érigée à la Sorbonne. C’était une science d’origine allemande, dont le ministre d’alors, M. Fortoul, avait vaguement entendu parler. Qui pouvait-on prendre pour l’enseigner? La chose n’était pas douteuse. N’avait-on pas M. Hase, helléniste illustre, grammairien éminent, qui résumait en lui toute la science allemande? On avait oublié une seule chose : c’est que la grammaire comparée avait été créée longtemps après que M. Hase eut quitté l’Allemagne, et que celui-ci, occupé d’autres études, n’avait probablement jamais lu les ouvrages où elle était exposée. M. Hase se soumit à la décision du ministre : il commença à soixante-douze ans un enseignement nouveau, ou portant un titre nouveau, et dans un cours qui ne manquait ni d’intérêt ni de charme, il apprit à ses auditeurs beaucoup d’excellentes choses, philologie, épigraphie, paléographie, qui n’étaient pas absolument étrangères à la grammaire comparée.

Pourquoi aurait-il fait autrement? Il voyait qu’on honorait les savans, mais qu’en somme on se souciait assez peu de la science. Entrant dans cette manière de voir, il s’attacha à modérer son effort, à ne rien faire de trop, selon la devise du sage. Le temps était loin où il réclamait pour lui la tâche la plus ingrate, le poste le plus périlleux. Jamais il ne faisait allusion à cette époque héroïque de sa vie: lui, si timoré qu’un autre Allemand, Jules Mohl, dans ses lettres, l’appelle, en jouant sur son nom, Leporello, aurait sans doute tremblé s’il avait pensé que ses lettres républicaines de 1801 existaient encore quelque part. On peut voir, par son exemple, que le sentiment de l’enthousiasme, auquel Mme de Staël, dans son livre de l’Allemagne, adresse une si belle et si éloquente invocation, s’il est nécessaire pour faire de grandes choses, ne suffit point cependant, à lui seul, pour conduire et soutenir une via : il y faut encore