l’obligera à reconnaître que, si la science est positive, c’est précisément à la condition de n’être qu’une science de phénomènes et d’apparences. Nos sensations, symboles des mouvemens extérieurs, ne leur ressemblent que d’une manière lointaine, comme les ondulations du désert ressemblent au vent qui en a soulevé les sables, comme le flux et le reflux de la mer ressemble aux mouvemens combinés de la lune et du soleil qui en attirent les eaux. Que sont les harmonies de nos oreilles ? La traduction et la transposition plus ou moins infidèle de ce que chantent les choses sur un ton inconnu, dans une langue inconnue. Quant aux couleurs et aux dessins qui séduisent nos yeux, c’est le mirage en nous d’une lumière qui n’est elle-même qu’un mirage. Passez de nos sensations intérieures aux mouvemens extérieurs, aurez-vous atteint pour cela la réalité ? Le mouvement, voilà la grande idole de la science moderne, mais ce n’est toujours qu’une idole ; on veut en vain nous la faire adorer comme le fond même de la réalité. C’est le Jupiter ou le Jehovah de la physique. Plus rationnelle et plus vraie est l’opinion qui réduit, selon la pensée de Kant, d’Hamilton, de M. Spencer, les mouvemens du dehors comme les sensations du dedans à de simples symboles d’une réalité cachée. Ainsi la science elle-même doit se résigner à n’être qu’un symbolisme raisonné et conscient de soi. Loin d’être l’opposé de l’art, que parfois elle dédaigne, elle est un art qui s’efforce d’imiter et de reproduire fidèlement la nature.
Que le symbolisme ait aussi une large place dans la morale, c’est ce qu’il n’est pas difficile d’établir, quoique le naturalisme contemporain ait négligé cette grande question. En premier lieu, nos actions sont évidemment les symboles de nos idées, tout aussi bien que les idées sont les symboles des phénomènes et les phénomènes ceux de la réalité. Il y a même, selon nous, entre les idées et les actions un lien plus étroit encore que tous les autres. L’action, en effet, n’est à notre avis que le prolongement de l’idée dans l’organisme. Toute idée, étroite ou large, égoïste ou désintéressée, tend à projeter au dehors son propre signe et son visible symbole : ce qui est vrai des inspirations de l’artiste, d’un Michel-Ange ou d’un Shakspeare, je veux dire cette force même de projection extérieure et comme d’incarnation spontanée dans une œuvre, est vrai aussi de toute idée relative à la pratique : nous sommes tous artistes en ce sens, et l’art, loin d’être une exception dans la vie, comme le croient les positivistes, en est le fond même. Inversement, si toute pensée tend à l’acte et si toute idée est une force, on peut dire aussi que tout acte traduit une pensée et, par conséquent, renferme une affirmation dont il est le signe ; en d’autres termes, tout acte est une idée réalisée et exprimée en mouvemens visibles. Par le simple fait