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fut celle de Versailles. Fièrement posés en selle, fermes sur leurs étriers, les écuyers de ce temps parvenaient, à force de stabilité et de patience, à assouplir ces robustes destriers, à les dresser pour tous les exercices qui ont rendu cette école si fameuse. Mais au prix de quelles secousses pour le cavalier ! on n’a plus ces reins-là aujourd’hui.

Attelés aux carrosses de la noblesse, ces grands chevaux du Nord avaient dans leur allure une solennité de bon ton et toute conforme à l’étiquette de la cour de France. Malgré leurs imperfections de forme, si choquantes actuellement, ils ont servi de modèles aux peintres et aux sculpteurs du grand siècle. Van-Dyck les choisit pour les portraits de ses princes et de ses capitaines. Peu préoccupé de la vérité historique, Lebrun les a peints dans ses batailles de Darius et d’Alexandre. Du reste, c’est dans ces peintures que dès aujourd’hui il faut aller chercher les formes primitives de l’ancien cheval normand ou mecklembourgeois. Partout il a subi de profondes transformations par les croisemens, même à son lieu d’origine.


III.

Nous venons de voir que la race asiatique et celle de Germanie se sont portées à la rencontre l’une de l’autre, avec les migrations des peuples des temps préhistoriques, puis avec les invasions successives des conquérans du moyen âge. Douées même d’une plus grande fixité que l’espèce humaine, elles ont laissé d’irrécusables traces sur bien des points où les types des envahisseurs se sont moins bien conservés. Dans ce mouvement expansif, la race asiatique a manifesté une éclatante supériorité sur sa rivale, par sa vitalité, par son aptitude à s’adapter aux changemens de climat et de sol. Très étendue dans les premiers siècles du moyen âge, la race germanique s’est graduellement resserrée dans ses limites naturelles, sur les côtes brumeuses de la Manche et de la Baltique, tandis que la race orientale a toujours marché de l’avant sans rétrograder, sachant s’acclimater au froid sibérien, à la chaleur de l’Espagne, à la sécheresse de notre Midi et même à l’humidité de l’Angleterre. L’explication de cette sorte de puissance colonisatrice, il faut la demander aux qualités morales de la race, à l’énergie d’où vient la résistance aux fatigues et aux privations, chez le cheval .aussi bien que chez l’homme.

C’est donc à bon droit que partout, en Europe, on a songé à puiser les élémens d’amélioration de la population chevaline aux sources les plus pures du sang oriental, en Syrie et jusque dans les inabordables oasis de l’Arabie. Voyons ce qu’ont fait les autres nations