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dans une voie où, loin de tenir la tête, nous nous sommes malheureusement laissé distancer au grand détriment de notre production.

Commençons par l’adaptation du cheval d’Orient au climat de l’Angleterre et aux fonctions de l’hippodrome. On trouve dans les anciennes chroniques saxonnes la pittoresque description de courses qui avaient lieu à Smithfield dès le XIIe siècle, alors que le reste de l’Europe en était encore au spectacle plus barbare des tournois. Une race de chevaux distingués du commun fut graduellement spécialisée pour ce jeu de grands seigneurs. Le peuple ne tarda pas à s’en éprendre, par cet irrésistible sentiment hiérarchique qui, en Angleterre, porte la plèbe à se modeler sur l’aristocratie[1].

Guidés par un remarquable sens pratique, les éleveurs de cette fine race comprirent quelle amélioration ils pourraient obtenir par l’importation d’étalons turcs, comme on disait alors. Dès le règne de Jacques Ier, ils commencèrent à allier ces étalons aux meilleures jumens de course, puis à leurs produits, en éliminant successivement tous les métis opérant un retour trop prononcé vers l’origine maternelle. C’est ainsi que, par le graduel affaiblissement du type primitif anglais, s’est constituée une variété chevaline dans laquelle une rigoureuse sélection a fait prédominer le sang des White-turk, des Darley-arabian, des Godolphin-arabian, inscrits en tête du livre généalogique des chevaux de course.

Dans cette transformation, la race asiatique a conservé sa tête fine, son front large, ses naseaux dilatés, son œil énergique, en un mot, sa noble physionomie primitive. Mais elle s’est modifiée dans ses lignes devenues plus hautes, plus allongées et moins courbes. Elle a pris l’accroissement de taille qu’atteint partout le cheval arabe sous l’influence d’une puissante alimentation. La croupe a reçu un développement prédominant, par les bonds continuels de la course. Cette construction est vicieuse pour le cheval de service, parce qu’elle rejette tout le poids du cavalier sur les membres antérieurs. Enfin, soumise à une tension en avant dans les efforts suprêmes de vitesse, l’encolure a perdu sa souplesse primitive et pris un allongement démesuré.

Voilà pour les signes extérieurs. Quant aux qualités intrinsèques, la race, modifiée par l’entraînement, a acquis une excessive irritabilité

  1. Ce goût du cheval inné en tout Anglais s’est développé même chez les marins. Un jour, je visitais sur les côtes annamites une jonque faisant du commerce et encore plus de piraterie. Il s’y trouvait un matelot déserteur anglais qui, pour fuir la prison, naviguait depuis longtemps avec les Chinois. Le pauvre outlaw avait oublié les usages et presque la langue de son pays. De la patrie que lui restait-il ? Une méchante lithographie de cheval de course, pendue dans sa cabine.