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préparent leurs discours; ils se proposent d’aller donner des représentations en province! De sorte qu’à la place de cette paix intérieure qu’on espérait peut-être, dont M. le président du conseil a parlé, on a en perspective, pendant un an ou deux, une agitation incessante, indéfinie, se promenant à travers la France pour conquérir les populations à l’idée d’une assemblée constituante chargée de nous donner une république nouvelle, — la vraie république, cette fois! La perspective est assurément séduisante, et s’il y avait quelques doutes, M. Clémenceau, qui est certes un habile orateur, est prêt à les dissiper. M. Clemenceau est là pour nous tranquilliser en nous assurant que le repos, après tout, n’existe pas et n’est qu’une invention monarchique, que « l’agitation, pour un peuple libre, c’est l’action réglée, » que « la loi de tous les organismes, c’est l’action... » M. Clemenceau abonde en explications et en aphorismes pour nous prouver qu’il n’y a rien de plus naturel et de plus hygiénique que de s’agiter et d’agiter les autres, de se donner la fièvre, de chercher perpétuellement querelle à toutes les lois et à toutes les institutions. Voilà une consultation précieuse! Malheureusement c’est un système qui a été déjà essayé depuis plusieurs années, et, à ce jeu redoutable, qu’a-t-on gagné? On a fini par tout ébranler, par répandre le trouble et la défiance dans les esprits comme dans les affaires. On s’est fait une triste et dangereuse habitude de cette fièvre des discussions stériles, de ces agitations incessantes auxquelles répondent aujourd’hui ces autres agitations populaires qui viennent de reparaître sur la place publique, qui naissent en partie d’une situation économique et industrielle devenue assez grave.

Que cette situation pénible existe en effet, qu’il y ait des souffrances, des misères dont on a pu se faire un prétexte pour ces manifestations récentes à l’esplanade des Invalides ou de l’Hôtel de Ville, c’est bien certain. Il n’est pas douteux qu’il y a aujourd’hui à Paris des industries singulièrement éprouvées, que des classes entières d’ouvriers sont inoccupées, que des chômages inévitables ajoutés à des grèves successives ont dû épuiser ou diminuer les ressources d’une partie de la population laborieuse. Oui, sans doute, la crise existe; elle a été attestée depuis quelque temps par une série de faits, par cette démarche que les négocians de la rue du Sentier tentaient il y a quelques semaines auprès de M. le président de la république, aussi bien que par les plaintes et les pétitions des chambres syndicales d’ouvriers. Elle s’est graduellement aggravée par bien des causes diverses, industrielles et politiques, accidentelles ou permanentes. La vérité est que l’industrie française subit aujourd’hui une redoutable épreuve qui dépasse en gravité toutes celles qu’elle a pu subir dans d’autres temps. Les ouvriers se plaignent, et ceux qui souffrent ont certes toujours le droit d’être écoutés. Ils ne s’aperçoivent pas seulement que, par les