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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/474

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constitutionnelle, telle qu’elle existe encore aujourd’hui, la république des dictatures révolutionnaires, de la convention, de l’assemblée unique, et le secret de toutes ces tentatives, c’est d’arriver à supprimer ou à subordonner le sénat C’est M. Madier de Moutjau qui l’a dit avec sa véhémence de vieux tribun : « Sus au sénat ! »

Prenez garde, disent les habiles, les tacticiens, la question est ainsi engagée que, si la révision se fait aujourd’hui, on n’ira pas jusqu’à cette extrémité. Le sénat pourra être respecté dans son existence ; on le ménagera, il ne sera que réformé. Si la révision rencontre des résistances, si elle est ajournée à dix-huit mois, peut-être au-delà, si pendant ce temps la lutte s’anime, le sénat risquera d’être emporté dans la tourmente sans qu’on puisse le sauver. — Fort bien ! cela veut dire que, si le sénat est sage, s’il se prête à tout ce qu’on voudra, même à la révision dont on fait une menace contre lui, il sera récompensé, il sera peut-être épargné ; s’il prétend avoir une opinion libre, rester dans son rôle de pouvoir indépendant, résister au besoin, il sera puni, il sera supprimé. C’est vraiment se faire une idée étrange des choses. Est-ce que le sénat est une institution dont il est permis de disposer et de se jouer comme d’une création de fantaisie ? S’il existe, s’il a une raison d’être, c’est apparemment dans l’intérêt de la république. S’il est utile aujourd’hui, il sera tout aussi utile dans dix-huit mois, à l’époque où on le menace d’une opinion vengeresse, et en le frappant c’est la république elle-même qu’on atteindrait, qu’on priverait d’un de ses ressorts essentiels. Et quand le sénat aura disparu, et sans doute aussi avec le sénat la présidence de la république, et avec la présidence de la république bien d’autres garanties, que restera-t-il? Il restera M. Madier de Monjau, M. Jules Roche, M. Laisant! C’est beaucoup indubitablement; ce n’est peut-être pas assez pour rassurer le pays, pour garantir la république elle-même, que la politique révolutionnaire, si elle triomphait tout à fait, conduirait probablement par le plus court chemin à une réforme beaucoup plus radicale, beaucoup plus décisive que toutes celles qu’on propose.

La campagne révisionniste, il est vrai, n’est pas allée si loin pour le moment. Elle a été interrompue par l’accord du gouvernement et d’une assez forte majorité parlementaire. Elle se trouve légalement ajournée; mais si l’on croit en être quitte, c’est une erreur singulière. Les entrepreneurs de révision, provisoirement évincés par un vote, ne se tiennent pas pour battus. Ils ne cachent pas l’intention de se remettre à l’œuvre, d’échauffer par tous les moyens l’opinion contre cette malheureuse constitution qui leur a pourtant donné la république. Ils ont déjà commencé à Paris même, dans une réunion toute récente, où ils ont passablement menacé et pulvérisé, non-seulement le sénat, mais ceux de leurs collègues de la chambre des députés qui n’ont pas admis la révision immédiate. Ils se distribuent les rôles et