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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/515

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lambeau de territoire ; c’est l’invasion de la France qui commence. Où sera porté le premier coup ? Heudicourt est suffisamment pourvu à Landrecies, qui semble moins menacé ; dans Guise, Quince a son régiment, celui de Rambure, cinq compagnies royales et deux de Suisses ; à La Capelle, Roquépine[1] a son régiment, celui de Biscaras, dix compagnies de Piémont et des Suisses. Espenan a quitté Chauny, il est en marche avec tout ce qu’a pu fournir le corps du marquis de Gesvres ; on l’attend à Origny Sainte-Benoîte, à 16 kilomètres de Guise.

Melo eut une conception de capitaine, forma un dessein hardi dont le succès promettait des résultats considérables. Il admettait comme prouvées les données suivantes : que l’armée de Picardie, peu nombreuse, comptant beaucoup de recrues, pouvait bien tenter le secours d’une place attaquée dans son voisinage, mais qu’elle était incapable d’exécuter une opération d’assez longue haleine, une marche de quelque durée, une action vigoureuse ; que les noms sonores d’armées de Champagne et de Bourgogne déguisaient mal la faiblesse des rassemblemens ébauchés à Chauny et à Langres, et il espérait avoir en face de lui des adversaires semblables à ceux qu’il avait déjà rencontrés : un étourdi comme Guiche, un brutal comme La Meilleraie, un chef lourd, indécis comme Brézé, Châtillon, ou médiocrement clairvoyant comme Harcourt. Il a déjà tourné les places de la Somme ; il tournera celles de l’Oise, passera entre les sources de cette rivière et la vallée de la Meuse et viendra à Rocroy frapper sur l’angle mort, séparant du premier coup les trois armées françaises déjà si éloignées l’une de l’autre et mettant entre elles une masse de troupes supérieure en nombre et en qualité à ce que chacune peut lui opposer. Les premières démonstrations doivent avoir retenu le duc d’Anguien assez loin sur la droite ; s’il se rapproche, il ne sera pas soutenu et devra reculer ou succomber. L’armée de Picardie mise hors de cause, le reste se dissipera et la Franche-Comté sera dégagée du péril qui la menace ; le capitaine-général pourra alors marcher sur Rethel et sur Reims, ravager la Champagne ou peut-être descendre la vallée de la Marne, qui est la vraie route de Paris[2].

  1. Roquépine (Louis-Claude du Bouzet, marquis de), capitaine en 1638, maréchal de camp en 1651.
  2. Ainsi le défaut de la répartition des armées françaises, la disposition qui avait retenu sur l’Oise, et peut-être dans l’inaction, les forces dont l’emploi pouvait être décisif ailleurs, tournait au profit de ses auteurs et contribuait à entraîner Melo dans une entreprise qui lui sera fatale. On ne saurait conclure de l’issue de cette campagne que de semblables erreurs peuvent être répétées. sans péril ; pour y remédier il faut le caractère, le mérite, l’autorité et le bonheur du duc d’Anguien.