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elles trouvent le pain préparé dans les villes près desquelles elles passent sans y entrer ; le fourrage est abondant, « la cavalerie n’a jamais esté si belle[1]. » Chaque heure de route diminue la distance qui sépare l’aile droite du corps de bataille ; M. le Duc renouvelle à Espenan l’ordre de remonter l’Oise avec tout son monde et de jeter des hommes dans Guise et La Capelle qui peuvent bien être aussi menacées que Landrecies. Gassion éclaire la marche ; ses partis vont à la guerre au loin « deçà et de là l’Escaut. »

Le 14 mai, l’armée a dépassé Saint-Quentin. Le duc d’Anguien est logé à l’abbaye de Fervaques, près des sources de la Somme. Il y reçoit de graves nouvelles : Un courrier de Paris lui apporte l’invitation, sinon un ordre formel, de revenir à la cour ; Louis XIII est au plus mal et ne règne plus que de nom ; le prince de Condé veut avoir son fils auprès de lui au moment où va s’établir la régence ; la dépêche contient un « pouvoir » donné à L’Hôpital pour prendre le commandement de l’armée. D’autre part, les éclaireurs reviennent et voici ce qu’ils rapportent : toutes les troupes de l’Artois et du Hainaut se sont réunies entre Valenciennes et le Quesnoy. Don Francisco Melo les a passées en revue et les a mises en route. Hier 13, leurs Croates battaient le pays au sud d’Avesnes, mettant le feu partout ; de loin on voyait la fumée des villages incendiés, aux environs de La Capelle et plus à l’est jusque vers Hirson. L’ennemi est en France.

« Les ennemis entrent en France du côté de Vervins, répond le duc d’Anguien à son père. Ils sont à une journée de moy et demain nous serons en présence. Jugés si mon honneur ne seroit pas engagé au dernier point de laisser l’armée dans cette conjoncture. Considérez l’estat auquel je suis pour servir le roy estant à la teste d’une armée de laquelle je puis répondre tant que j’y serai, et celuy auquel j’engagerai les choses sy je m’en vais. » Le lieutenant-général ne paraissait pas se soucier de prendre la place du général en chef. « Si je pars et que le roi meure, ajoute M. le Duc, le maréchal de L’Hôpital craint fort que les troupes ne se débandent. Dans quelques jours, si quelqu’intérest particulier vous oblige à me rappeler, si vous jugés que je sois plus en estat de servir l’estat et vous, tout seul à Paris avec un escuier, qu’icy à la teste d’une armée de vingt cinq mil hommes bien intentionnés, j’abandonneray tout pour vous rendre le service que vous souhaiterés de moy. » Le soir même, le courrier repartit avec cette réponse et l’ordre de route fut donné pour le lendemain ; direction, Guise et Vervins.

Il ne s’agit plus de disputer aux Espagnols une place ou un

  1. M. le Duc à Mazarin, 12 mai.