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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/545

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sont un régal. Aux mois d’été, en août et septembre, lorsque l’on est à la campagne, à la chasse, aux bains de mer, en voyage, toutes les sources tarissent à la fois ; les dons en nature font défaut, les personnes charitables sont absentes ; c’est là un temps de disette, et comme il est interdit d’avoir des réserves, de faire des économies, de posséder des revenus, il y a parfois de mauvais jours où la viande est rare et où les légumes sont plus abondans qu’il ne convient à de vieux estomacs. On attend octobre et novembre avec impatience, c’est la rentrée des classes, la rentrée des tribunaux, la rentrée des chambres législatives ; c’est le retour de la dépense, en un mot, et quand Paris ne dépense pas, la table des Petites-Sœurs des Pauvres est bien frugale.

La grande préoccupation, c’est de ne pas manquer de pain, de ce pain qui est la base même, en France, de l’alimentation. Dans presque toutes les maisons, il faut en acheter ; à Picpus, j’ai compté une trentaine de miches qui sortaient de chez le boulanger : Notre-Dame-des-Champs est fournie par le séminaire de Saint-Sulpice, par le collège Stanislas, par divers pensionnats du quartier ; l’avenue de Breteuil est bien dépourvue ; autrefois elle avait l’École militaire et le collège Chaptal, elle ne les a plus ; quand on a appris que le collège Chaptal supprimait sa desserte, la petite-sœur cuisinière en a pleuré ; on a redoublé de zèle, et les vieux pensionnaires ne se sont aperçus de rien. Je m’étais figuré que la maison de la rue Saint-Jacques, située en lisière du Val-de- Grâce, au milieu du quartier des Écoles, avait abondance de pain et pouvait en expédier aux autres maisons. Je m’étais trompé. Le pain y manque, ou peu s’en faut ; sauf l’École normale supérieure et l’École Bossuet, de la rue Madame ; les autres établissemens scolaires ne donnent rien. Lorsque je me rappelle ce que nous gâchions de pain et de nourriture au collège, lorsque je sais que, sous ce rapport et sous tant d’autres, rien n’a été changé dans les casernes universitaires, je me dis qu’avec ce que l’on pourrait recueillir dans les cours et dans les réfectoires de deux ou trois lycées, on aurait de quoi nourrir bien des indigens et bien des infirmes. Les lycées tirent parti de leurs débris alimentaires. Louis-le-Grand et Saint-Louis vendent leurs croûtes de pain au sieur Goubeyre, marchand d’eaux grasses au marché des Patriarches ; le lycée Henri IV vend les siennes au sieur Dareau, également marchand d’eaux grasses à Châtillon. Quand le traité passé, il y a dix-huit ans, je crois, entre les collèges et ces industriels sera devenu caduc, on fera bien de ne pas le renouveler. L’enfance est généreuse, il faut lui laisser la satisfaction de savoir que le pain que ne respecte pas son insouciance apaisera la faim de la vieillesse et de la pauvreté. Sait-elle à quelle destination le