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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/546

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croûton qu’elle a jeté au long des murs pourrait être réservé ? Dans ma visite à l’une des maisons tenues par les petites-sœurs, j’ai avisé un vieillard vêtu d’une houppelande rapiécée ; maigre, hâve et triste comme s’il eût été frappé de déchéance, il était assis près du poêle, fuyant les regards et rassurant d’un geste machinal les lunettes à branches de fer à l’aide desquelles il lisait. J’ai pris le volume qu’il avait en main : Horace avec les commentaires de Jean Bond. Le pauvre homme était un ancien pédagogue pour lequel l’existence et l’Université semblent avoir eu peu de sourires. Les morceaux de pain qui vont aux « marchands d’eaux grasses » ne lui auraient point été inutiles.

De même que chaque jour deux quêteuses font leur tournée charitable dans Paris, de même chaque matin une voiture s’en va récolter les dons en nature. Ainsi, tous les jours, les Petites-Sœurs des Pauvres mettent en mouvement dix quêteuses et cinq voitures. Ce serait une grosse dépense, car cinq voitures nécessitent cinq chevaux qu’il faut nourrir et harnacher. Grâce à la générosité de M. Maurice Bixio, directeur de la Compagnie des petites voitures, cette lourde charge ne pèse pas sur le budget des pauvres : à chacune des cinq maisons il fournit un cheval harnaché et nourri ; de plus, une fois par an, il fait repeindre la voiture à ses frais. L’action est bonne et mérite d’être signalée. La voiture est outillée en vue de sa destination ; elle est munie de grands récipiens en fer battu et de quelques sacs. Elle a ses étapes, étapes de la bienfaisance, où l’on n’est jamais repoussé. Les halles, les marchés publics d’abord, où les petites-sœurs sont vénérées, où elles sont saluées d’un mot aimable, où toujours elles ont été accueillies avec respect, même pendant la commune. Ce que l’on récolte là, ce sont les légumes, de gros choux qui font de bonne soupe, des pommes de terre, une bottelée de carottes, une brassée de salsifis, parfois une motte de beurre, mais c’est là une aubaine sur laquelle il ne faut pas trop compter. Les bonnes affaires ouvrent le cœur aux bons sentimens : un marchand qui aura, sur une opération, réalisé un sérieux bénéfice, fait jeter dans la voiture un sac de riz ou un sac de haricots ; pendant que je visitais une de ces maisons, j’y ai vu apporter une couffe de cassonade ; quelle joie ! Les marchés donnent très rarement de la viande ou du poisson, denrées chères que l’on ne réservé pas pour soi-même ; en revanche, les fruits communs, pommes et poires, sont offerts presque avec prodigalité.

Si l’on n’avait que cette ressource, on mourrait de faim ; les marchandes ne sont point riches, leur métier est très pénible, et leurs dons insuffisans si on les compare aux besoins à satisfaire, sont un acte de largesse, lorsque l’on considère la condition de celui qui