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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/553

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Dans la maison, les sexes sont isolés l’un de l’autre : quartier des hommes, quartier des femmes ; à voir les pensionnaires contre lesquels la pudeur prend de telles précautions, à regarder leur caducité, la destruction de leurs formes, leur débilité, il est difficile de ne point sourire, et cependant il paraît que cela est indispensable, Les ménages, — il y en a chez les petites-sœurs, — peuvent se réunir un instant, le soir, après souper. On se traite du reste avec quelque cérémonie ; les petits vieux disent : « Ces dames, » les petites vieilles disent : « Ces messieurs. » Quand par hasard on se rencontre dans un couloir, lorsque l’on s’aperçoit au jardin, on échange de grands saluts et de belles révérences. « Ah ! mon président, disait un octogénaire que j’ai vu en police correctionnelle, le coeur ne vieillit pas. » Chaque maison est donc divisée en deux parties distinctes : bons petits vieux et bonnes petites vieilles ont leurs salles, leurs réfectoires, leurs dortoirs, leur infirmerie séparés ; dans les maisons spacieuses, les hommes ont un fumoir ; le jardin même n’est pas en commun ; les hommes ont leur jardinet, les femmes ont le leur ; on ne se rassemble qu’à la chapelle, où chaque matin on dit la messe ; les pensionnaires s’imaginent qu’ils la changent ; en réalité, ils la chevrotent ; mais, là aussi, les sexes sont tenus à part ; les hommes sont d’un côté de la nef, les femmes de l’autre. Dans l’ambon qui communique de plain-pied avec l’infirmerie, on a roulé le fauteuil des paralytiques et des gâteux ; ceux-là assistent, c’est tout ce que l’on en peut dire.

La supérieure est maîtresse en sa maison, comme le capitaine de vaisseau est maître à son bord. Elle admet ou repousse péremptoirement les demandes d’admission. Elle ne tient compte que de l’âge, des infirmités, de la misère des postulai)s et des places dont elle dispose. Les places sont rares : à vrai dire, il n’en existe pas : les maisons sont pleines : on y frappe jour et nuit ; pour une vacance qui se produit cinquante malheureux se présentent. Les maisons ont beau « se dilater, » elles ne parviennent pas à donner abri à tous ceux qui sollicitent. La liste est longue des pauvres gens que l’on n’a pu recueillir encore et qu’on recueillera dès qu’un lit sera libre. Là, pour recevoir les pensionnaires, on n’exige rien d’eux, sinon qu’ils soient vieux et incapables de gagner leur vie. On ignore la loi du 24 vendémiaire an III, qui détermine le domicile de secours, on ne fait aucune de ces enquêtes à l’aide desquelles l’assistance publique se défend, on ne repousse personne et l’on s’ingénie comme au temps de Jeanne Jugan et de Marie-Augustine, à recevoir d’abord les misérables, quitte à s’enquérir comment on les casera. On ne s’inquiète même pas de la nationalité de ceux qui implorent un asile : dans la salle commune d’une des maisons de Paris, j’ai vu une vieille femme écroulée près du poêle ; c’est une