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pâturage sur la culture, qui laisse la plus grande partie de la terre en friche et, s’il a pu être commandé par le manque de bras, perpétue la dépopulation des campagnes et s’oppose à toute espèce de progrès. C’est de cette manière qu’un sol qui serait éminemment propre à la culture des céréales et pourrait fournir sous ce rapport les élémens d’une exportation considérable demeure improductif dans la plus grande partie de sa superficie.

Et si les causes de la misère des campagnes exercent leur action dans la Basilicate plus qu’ailleurs, la rudesse du climat y rend cette misère plus pénible. Il est vrai que l’air y est sain, grâce à l’altitude générale, et qu’à part quelques vallées ou les parties basses voisines de la mer, la malaria n’y règne pas. Mais les privations et la pauvreté sont plus faciles à supporter sous un climat chaud que sous un climat froid : le travailleur n’y a pas besoin d’une alimentation aussi substantielle ; on ne souffre pas d’être mal vêtu et déguenillé sous une température ardente. Peu importe de n’avoir pour gîte qu’une tanière à celui qui peut toute l’année dormir à la belle étoile sous un ciel constamment clément. Il n’en est pas de même pour celui que le froid et la neige obligent à s’enfermer plusieurs mois dans sa demeure. On s’est étonné de la force de résistance qu’ont déployée les soldats napolitains de Murât dans la retraite de Russie. C’est qu’on a l’habitude de se représenter l’ancien royaume d’après ses côtes, et surtout d’après les énervantes délices du golfe de Naples. On oublie que les anciens pays des Samnites, des Lucaniens et des Bruttiens ont de tout temps nourri des populations trempées par les contrastes d’un climat toujours excessif, et aussi rudes que leurs montagnes. Les soldats recrutés dans les Abruzzes, dans la Basilicate, dans la Sila et dans l’Aspromonte étaient habitués dès leur enfance à marcher sans chaussures dans la neige glacée et à braver en haillons les rigueurs de l’hiver.

Après ce que je viens de dire, on ne sera pas surpris de me voir ajouter que l’ancienne Lucanie est, de toutes les contrées de l’Italie, celle où l’émigration vers l’Amérique se développe sur la plus grande échelle. Elle tend chaque jour davantage à y prendre des proportions effrayantes. Nulle part la nécessité d’une loi agraire bien conçue n’éclate aux yeux d’une façon plus manifeste, nulle part il n’est plus nécessaire de pousser à l’adresse du gouvernement italien le cri Caveant consules ! car le péril public est ici flagrant. Malgré les efforts louables que l’on fait pour le doter d’une meilleure viabilité qui facilite l’écoulement de ses produits agricoles, le pays continue à se dépeupler, parce que la misère de ses habitans ruraux est intolérable. Dans le Val di Tegiano nous rencontrons des bourgs qui ont vu depuis dix ans le tiers de leur population virile partir pour La Plata. Certes, ce n’est pas chose facile que de porter remède à une