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spéciale ; elle y attachait une peine criminelle. Mais on avait trouvé une ingénieuse formule qui permettait à la police de fermer les yeux en pareil cas, moyennant une forte bonne-main ; on lui faisait constater que c’était par la dent d’un porc que l’enfant avait été mutilé tandis qu’il dormait dans les champs. Les procureurs du roi ne se paient plus aujourd’hui de pareilles excuses. D’ailleurs le parlement italien a voté dans ces dernières années une loi sévère et rigoureusement mise en pratique depuis lors, pour arrêter, dans la mesure du possible, la traite des enfans dans la Basilicate. Les pratiques frauduleuses et coupables usitées parmi ceux qui se livreraient à ce trafic sont frappées de pénalités. Les contrats par lesquels les parens déléguaient la plénitude du pouvoir paternel aux entrepreneurs à qui ils vendaient leurs enfans n’étant plus reconnus pour valides, l’état prend la tutelle de ces petits malheureux ; ses agens les suivent attentivement dans le royaume et à l’étranger, les protègent contre les mauvais traitemens et l’avidité de leurs maîtres, au besoin les rapatrient et leur assurent un asile dans des établissemens de charité jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de gagner leur vie par l’exercice d’un métier. Il est facile de constater l’efficacité de cette loi par la diminution sensible du nombre des petits mendians italiens de ce côté des Alpes depuis qu’elle a été promulguée.

Quelques kilomètres au-delà de Banzi, l’arrivée au sommet d’une dernière montée découvre brusquement devant nos yeux un magnifique panorama. Directement au-dessous de nous, presque à pic, avec une profondeur de 1,000 pieds environ, se creuse un vaste cirque de montagnes. A l’ouest et au sud, de puissantes arêtes continues, d’un relief plus haut encore que celui du côté du nord, par où nous arrivons, forment la muraille du cirque et arrêtent la vue à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau. L’arête de l’ouest est la prolongation du Monte-Acuto, qui sépare de Lagopesole et d’Avigliano, formant la crête de partage des eaux tributaires du golfe de Salerne, sur la mer Tyrrhénienne, et de celles qui descendent au golfe de Tarente, sur la mer Ionienne. Celle du sud est la barrière entre les vallées du Bradano et du Basiento, les deux fleuves qui, se rapprochant à la fin de leur cours, embrassent le site de l’antique Métaponte entre leurs embouchures. Potenza, qui domine le Basiento dans sa partie supérieure, est située derrière ces montagnes. Deux petites rivières coulent au fond du cirque que j’essaie de décrire et dont les pentes sont garnies de bois ou cultivées en champs parsemés de grands chênes ; ce sont le Bradano, qui sort à peine de sa source, et le Signone, autrement dit Fiumarella. Elles se réunissent vers l’extrémité est de l’enceinte, où s’ouvre la vallée du Bradano, qui reçoit bientôt de nombreux affluens et se dirige